Sortie fantastique au petit palais

jan 2016 -
Si les mots avaient des ailes

Sortie fantastique au Petit Palais

L’estampe fantastique au 19e siècle, tel était le thème d’une exposition qui s’est tenue au Petit Palais à Paris jusqu’au 17 janvier. Une dizaine d’entre nous s’est retrouvé début janvier pour déambuler dans les salles de cette superbe exposition qui comptait deux volets : (voir le site du petit palais ici)

  • Les estampes du maître japonais Kuniyoshi, étourdissantes de couleurs et de détails, qui nous plongent dans un univers peuplé de démons ou d’êtres légendaires inspirés des légendes et du théâtre japonais. Mangas et tatouages ont par la suite largement puisé leur inspiration dans l’œuvre de cet artiste.
  • Les estampes et gravures en noir et blanc des maîtres européens du genre, Goya, Redon, Delacroix, Doré, Grandville pour ne citer que les plus réputés. S’offrait aux visiteurs une surprenante plongée dans nos cauchemars, nos mythes, notre peur de la mort, des démons et du surnaturel.

 

l'oeuf - Odilon Redon

l’Oeuf – Odilon Redon – 1885

Et puisque nous sommes membres d’un atelier d’écriture, Agnès, notre animatrice, nous a proposé de nous inspirer des estampes de Kuniyoshi pour imaginer l’histoire d’un homme ou d’une femme se réveillant un matin transformé en animal. Une métamorphose qui aurait plu à Kafka !

Kuniyoshi ce grand maitre de l’estampe japonaise transformait les humains en animaux pour échapper à la censure et continuer ainsi son oeuvre. Il a sans doute influencé Grandville illustrateur français du 19ème qui savait aussi métamorphoser avec humour les humains et jouer avec notre ambiguité. A la suite de cette exposition « fantastique », imaginez que vous vous réveillez un matin transformé en animal. Vous abordez dans une nouvelle peau votre première journée… Racontez avec le point de vue de l’animal…

 

voici le texte écrit par Alain Lefebvre après cette visite

L’envol

Dans le bar à tapas, tous les hommes la reluquaient, mais c’est à moi qu’elle a fait signe de venir s’asseoir à sa table, moi Miguel, ornithologue. Je ne me suis pas méfié, j’étais tellement flatté qu’elle m’ait choisi. Cheveux noirs, yeux noirs perçants, robe noire brillante, nez joliment busqué, elle était impressionnante, presque inquiétante et m’a fait penser à la chanteuse Barbara. Me sont venues à l’esprit les paroles de la chanson « l’aigle noir ». Je me suis dit que c’était une belle coïncidence. Elle m’a demandé ce que je faisais dans la vie, quels étaient mes rêves les plus fous, et quand elle me regardait j’avais le sentiment d’être l’homme le plus intéressant du monde.

Je lui ai parlé des oiseaux, de mes voyages, de mes recherches, de mes publications. Avec des larmes dans les yeux, je lui ai dit que j’enviais les oiseaux qui ne connaissent pas les frontières, qui peuvent voler sur des milliers de kilomètres, découvrir le monde à la seule force de leurs ailes. Alors que nous, pauvres humains qui nous croyons si forts, pour faire la même chose, il nous faut des oiseaux de métal et des tonnes de kérosène. Tandis qu’un oiseau….

Elle approuvait doucement de la tête et moi je n’arrêtais pas de parler. A un moment je lui ai avoué que j’aurais voulu être un oiseau, fendre l’air à la seule force de mes ailes. Elle a souri, fait la moue et m’a demandé :

– vraiment, ça te plairait ?

Bêtement, j’ai répondu que oui, mille fois oui. Elle a souri, s’est levée, a déposé un léger baiser sur mes lèvres et m’a dit que nous nous reverrions très bientôt.

La nuit qui a suivi, mon sommeil a été peuplé de bruissement d’ailes, de chants d’oiseaux allant du mélodieux au sinistre. J’ai même revécu des scènes du film « les oiseaux » d’Hitchcock. Ce sont les premières lueurs de l’aube qui m’ont réveillé. J’ai ouvert les yeux, et dans la pénombre, ma chambre m’est apparue sous un jour étrange. Mes yeux refusaient de bouger, il me fallait tourner la tête par petits mouvements saccadés pour découvrir mon environnement. J’ai voulu me frotter les yeux, mais au lieu de voir apparaître une main, j’ai découvert des plumes. J’ai hurlé de terreur, mais le son qui est sorti de ma gorge était un misérable piaillement !

Un cauchemar, ce ne pouvait être qu’un cauchemar ! Sous ma poitrine, mon cœur battait à un rythme incroyable, j’allais exploser, j’allais devenir fou, j’étais devenu fou ! Les minutes passant, Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : je n’étais plus qu’une petite boule de plumes. J’avais un bec, des ailes prêtes pour l’envol, des pattes minuscules comme des brindilles. J’étais devenu un « Passer domesticus » nom latin du moineau. J’ai trouvé étrange que ma petite cervelle ait conservé ce savoir d’ornithologue. J’en aurais presque souri, mais un moineau, ça ne sourit pas.

J’étais donc devenu un oiseau mais mon esprit était celui d’un homme. J’ai fait appel à ma raison pour essayer de comprendre l’incompréhensible, mais je ne voyais qu’une explication, ma rencontre avec cette femme étrange. Les contes de fée de mon enfance me sont revenus en mémoire avec leurs histoires de sorcières, de sorts qui transforment les princes charmants en crapauds. J’ai repensé à cette histoire de frères devenus oiseaux et délivrés de leur sort par leur sœur. Impossible de retrouver le titre. Moi, qui me libérerait de cet envoûtement ? Je n’avais ni sœur, ni frère, ni petite amie.

Mon corps d’oiseau m’a fait comprendre qu’il avait faim et soif. Nous étions au printemps, le temps était doux et la fenêtre de ma chambre était ouverte. Sans même que je m’en rende compte, mes ailes se sont mises à battre et je me suis retrouvé dehors virevoltant dans les airs. En quelques secondes, je suis passé du désespoir à l’euphorie. Je volais et c’était fantastique ! J’ai pris un peu d’altitude pour avoir le plaisir de piquer vers le sol à toute vitesse, j’ai survolé ma maison, mon quartier, jamais je ne m’étais senti aussi libre. Au passage, j’ai gobé quelques moucherons avant de me poser à terre. Et j’ai salivé, façon de parler, à la vue d’un ver de terre tout frétillant que j’ai englouti dans l’instant. Ensuite, j’ai picoré quelques bourgeons naissants sur un arbuste avant de me réchauffer au soleil.

Cela peut paraître incroyable, mais j’étais bien, insouciant, délivré de mes soucis d’humain, heureux de savourer simplement le moment présent et de découvrir le monde sous un jour tellement nouveau. Il devait être midi car les gens commençaient à sortir de leurs bureaux. Je me suis dit que si j’allais au square, je pourrais picorer quelques miettes de sandwich et l’idée d’écouter les gens à leur insu me plaisait. Cinq cents battements d’ailes plus tard, j’étais au-dessus du square, prêt à me poser quand je l’ai vue, assise sur un bac un peu à l’écart dans sa robe noire. J’ai eu peur, j’ai hésité, mais ma curiosité l’a emporté. Je me suis posé près d’elle, pas trop près quand même, prêt à m’envoler au cas où. Elle a tourné la tête vers moi, souriante, m’a fait signe d’approcher. Elle m’a même tendu la main pour que je m’y pose. Je n’ai pas résisté à son appel. Elle a doucement caressé ma petite tête de piaf, et quand elle m’a parlé, j’ai su qu’elle lisait dans mes pensées :

 – Appelle-moi sorcière ou fée, peu importe, mais c’est vrai, je réalise les rêves les plus fous. Quand je parle de rêves fous, je ne parle pas de ceux qui veulent gagner au jeu, devenir milliardaires, tyrans, immortels. Ceux-là, je les ignore, ce ne sont pas des rêveurs. Seul m’intéressent les êtres sincères aux rêves lumineux. Toi, tu fais partie de ceux attirés par la beauté et l’innocence des animaux. Toi, tu honores la vie animale. D’autres sont fascinés par les arbres : j’ai quelques beaux spécimens à mon actif dans ce monde, dont un tout jeune séquoia. Il y a aussi les mystiques qui veulent découvrir la foi, la sagesse des ermites. Si tu savais d’où vient le dalaï-lama ! Ceux-là, j’exauce leurs souhaits. Si certains le regrettent après coup, je les ramène à leur vie d’avant, en effaçant de leur mémoire ce qu’il leur est arrivé. Mais ils passeront le reste de leur existence avec le triste sentiment d’avoir manqué quelque chose. C’est le prix à payer. Mais parle-moi de toi, comment vis-tu ta nouvelle existence ?

 Je ne savais pas trop quoi répondre. J’ai quand même avoué que oui, je me sentais bien en oiseau, et que bizarrement je n’avais pas du tout envie de redevenir homme, que jamais je n’avais ressenti un tel sentiment de liberté. Elle a réfléchi :

– Tu es bien conscient que ta nouvelle vie a aussi ses inconvénients et ses contraintes. Tu auras faim, tu auras froid et soif, tu seras une proie pour les chats et certains oiseaux. Si tu le souhaites, j’arrête tout maintenant.

J’ai répondu que j’avais bien réfléchi et que je ne voulais pas revenir en arrière. Elle a acquiescé et a pris un air interrogateur :

– j’avais cru comprendre que tu rêvais de grands voyages. Tu n’aimerais pas plutôt être un oiseau migrateur ? Si tu en rêves très fort, je pourrais peut-être faire quelque chose pour toi.

Elle a déposé un léger baiser sur mon bec et voilà comment je me suis retrouvé dans les plumes d’un magnifique Faucon d’Éléonore (Falco eleonorae).

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