La boîte à mots : le jeu

LA BOITE A MOTS, LE JEU : NOVEMBRE 2018

déc 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de novembre 2018 :  croissant, vie, pôle nord


voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :

 

Le loto (François)

Sébastien fut pris de tremblements. Malgré l’évidence, il ne parvenait toujours pas, au bout de quelques minutes, à croire ce qui venait de le frapper comme une gifle. Il restait abasourdi, groggy. Ses yeux continuaient inlassablement de passer de l’écran de son ordinateur au petit bout de papier qu’il tenait dans sa main secouée par des spasmes de plus en plus violents.

Il relisait sans cesse chacun des numéros et la date du tirage.

Allez, une dernière fois, murmura-t-il et il finit par s’appuyer sur le dossier de sa chaise enfin convaincu qu’il venait de gagner le gros lot. Fébrilement, il passa sur un autre site pour connaître le montant de ses gains.

Douze millions. Il était le seul à avoir trouvé la bonne combinaison. Douze millions !!

Il posa sur le petit bureau le ticket que lui avait remis ce matin-même le propriétaire de la papeterie en bas de chez lui. Comme chaque fois, ils avaient plaisanté ensemble sur ses infortunes répétées et il avait quitté le magasin avec cette phrase qu’il se reprochait de dire trop souvent : « A demain, pour les gains !!!».

Il resta un bon moment assis, les bras croisés, regardant sans les voir les immeubles faisant face à son appartement.

Il oscillait entre rêve et réalité, entre bonheur et incrédulité, entre sourire et larmes.

Cet insignifiant bout de papier à côté de son ordinateur valait douze millions ! Une fois calmé, il le saisit et, comme il le faisait quand il gagnait des montants modestes, il le plia et le rangea dans son portefeuille.

Depuis longtemps, il réfléchissait à ce qu’il ferait si la chance lui souriait. Il savait qu’il donnerait à chacun de ses enfants de quoi s’acheter une belle maison. Il ferait aussi un beau chèque à ses frères et sœurs. Enfin, il choisirait une association humanitaire qu’il parrainerait de façon significative.

Sébastien voulait également réaliser ce dont il avait envie et à quoi il avait toujours dû renoncer.

Sa vie allait changer de façon radicale.

De toute évidence, il allait s’offrir son « château en Espagne ». Son rêve n’était pas un château, seulement une belle et discrète maison sur la côte nord de la péninsule ibérique.

Mais avant cela, il voulait réaliser un beau et long voyage.

Indécis sur la destination, il alla chercher le globe terrestre qui reposait depuis des lustres dans la chambre de sa fille. Elle l’avait laissé là quand elle était partie s’établir à quelques centaines de kilomètres pour fonder un foyer.

Il saisit la mappemonde et la posa sur la table du salon. Il la fit pivoter plusieurs fois. Il l’arrêtait lorsque se présentaient des lieux qui le faisaient rêver depuis des décennies. Il s’attarda sur l’Amérique du Sud. Sa main caressa le continent américain du Pérou au Canada puis remonta jusqu’au pôle nord où, quand il était gamin, l’avaient emmené les récits de Paul-Emile Victor.

Encore hésitant sur la destination de son futur périple, il se proposa de faire tourner le globe et, les yeux fermés, de l’arrêter au hasard par une pression du doigt. Mais il reconnut qu’il prenait ainsi le risque de s’imposer un voyage en Sibérie, peut-être au milieu du Pacifique ou encore dans le désert du centre de l’Australie. Il renonça alors à ce système trop aléatoire qui pouvait l’envoyer sur des terres inhospitalières.

Toute la nuit, seul dans son lit, il parcourut les continents, échafauda des centaines de projets insensés, établit la liste des amis à qui il ferait des cadeaux. Il se répétait régulièrement : « je peux tout me permettre, je suis millionnaire » et il recommençait à faire le monde, celui des êtres chers et le sien.

Le lendemain matin, les yeux rougis par l’insomnie, il se chaussa, descendit chercher sa baguette de pain quotidienne et s’offrit le luxe d’acheter un croissant.

 


 

Naissance à la ferme (Monica Sel)

 

Soudain, la sonnerie du téléphone retentit dans la maison silencieuse.

– Bonsoir. Excusez-moi de vous déranger, mais Marguerite va vêler cette nuit. Pourriez-vous passer à la ferme ?

– Ok, j’arrive.

Pierre abandonne son bol de soupe, attrape sa parka pendue à la patère de l’entrée, s’empare de sa lourde sacoche, l’indispensable matériel médical.

Dès la porte franchie, un vent glacial le saisit. Pierre fouille ses poches, récupère son bonnet tricoté mains dont il coiffe immédiatement son crâne dégarni.  Il se rappelle le bulletin météo de la veille « un froid venu du Pôle Nord va engourdir la région ». Un croissant de lune éclaire chichement la campagne. Ce déplacement n’est pas fait pour enchanter notre homme. Une soirée devant la cheminée avec un bon bouquin, voilà à quoi il aspirait en cette fin de semaine. Mais bon ! Les aléas d’un métier exaltant.

Après vingt minutes de route sur une départementale sinueuse et accidentée, il arrive à la ferme. Un chien sorti de nulle part, l’accueille et l’escorte. Antonin, le maitre des lieux, debout au milieu de la cour malgré le froid, l’attend, anxieux. Une chaleureuse poignée de main, un bref échange de politesse et les deux hommes se dirigent vers l’étable d’un pas rapide. Marguerite, une superbe Montbéliarde, taches rouges sur robe blanche, couchée sur le flanc, attend, elle aussi. Les pattes avant du veau apparaissent déjà. Le vétérinaire analyse rapidement la situation. Marguerite, encore génisse, bientôt vache,  semble se débrouiller fort bien. Elle est encouragée par ses congénères qui tout à côté, lui adressent des « meuh » réconfortants.

Au bout d’un moment, Pierre décide d’aider à la délivrance. Il encorde les petites pattes et synchrone avec une contraction, tire d’un geste énergique mais délicat. La tête est sortie, ensuite tout va très vite. Après quelques chatouillements dans le nez, le nouveau-né est rendu à sa mère.

Sarah, l’épouse d’Antonin, informée de la naissance par la gaieté ambiante, apparait, portant un lourd plateau à bout de bras. Un intermède bienvenu, pensent les deux hommes : un thermos de café chaud, un bocal de fruits à l’eau de vie et quelques tartines de pain perdu encore fumantes.

De son côté, le veau, toiletté à grands coups de langue maternelle, baptisé Myrtille, ose déjà quelques pas. Après plusieurs chutes dans la paille tiède et confortable il rejoint en chancelant sa mère, se pend à son pis et tète goulument.

Encore quelques soins à prodiguer, et Pierre prend congé du couple, gratifié d’un odorant fromage fermier. A l’est, derrière le bosquet dit « de Mortefeuille »,  une lueur orangée, prémices d’une matinée ensoleillée, embrase le ciel. Le médecin, satisfait, heureux, optimiste, pressent une bien agréable journée.


 

Le pôle nord ( Martine)

Enfin ! Le Pôle Nord ! Mark accoste son brise-glace sur cet océan qui est le plus petit du monde. Emmitouflé dans sa parka et armé de son appareil photographique, il s’émerveille devant les voiles de lumière jaune et vert qui illuminent la bannière étoilée. Avec un peu de nostalgie, il repense au croissant de lune au-dessus de la Rance qu’il aime tant admirer de sa terrasse. Ses fidèles amis lui ont fait un superbe cadeau en sponsorisant son projet pour ses cinquante ans !

Aujourd’hui, il réalise enfin son rêve d’enfant qu’il prépare depuis cinq ans : découvrir cette région du globe si glaciale, si rude, mais tellement captivante !

Brusquement, un bruit sourd, inquiétant, le tire de ses rêveries. La carapace d’eau gelée prend vie. Un gigantesque ours polaire apparaît. Instinctivement, Mark s’élance sur sa droite pour se dissimuler derrière…derrière quoi au fait ? Pas de buisson ici ! Seul son bateau brise-glace l’attend un peu loin.

Doucement, il saisit son appareil photographique pour immortaliser cet instant magique sur la pellicule. Mais l’ours s’arrête et tourne la tête vers lui. Mark lâche son appareil et esquisse un pas en arrière, puis un autre, ne quittant pas des yeux l’ursidé dont la fourrure se fond dans le paysage. Pourvu qu’il ne s’avance pas vers lui ! Mais non ! L’ours l’ignore et s’éloigne d’un pas chaloupé vers un large trou creusé dans la banquise. Quelques secondes plus tard, Mark le voit harponner, de ses puissantes pattes, un pauvre phoque égaré qui lui sert d’en-cas pour son repas.

Inquiet, Mark songe : « Pourvu qu’il en pêche d’autres, Je n’ai pas envie de lui servir de plat de résistance ».

Alors qu’il rebrousse chemin en ne quittant pas l’ours du regard, celui-ci l’ignore et continue son festin en attrapant un deuxième, puis un troisième phoque.

Remonté sur son bateau, Mark pousse un soupir de soulagement. C’est alors qu’il entend à la radio :

« Bon anniversaire Mark.
Profite bien de ton séjour et n’oublie pas de faire des photos.
À bientôt..
Tes amis Malouins. »

 


 

On peut rêver (Susan Clot)

Les enfants sont partis à l’école et Lætitia peut enfin s’asseoir et siroter son café tranquillement dans la cuisine. Pas de croissant ni de cigarette comme quand elle était étudiante et que tout était possible, quand la vie l’attendait  à bras ouverts, et quand le paradis semblait au bout de la rue. Le temps est loin où elle s’imaginait devenir écrivain célèbre, exploratrice du pôle nord ou star de cinéma.

Non, tout cela est bien du passé. Aujourd’hui elle finit les bouts de tartine Nutella laissés par Lise et éparpillés sur la table comme des bateaux en perdition sur une mer de miettes. Elle finit le bol de Lucas, même si des gouttes de jus d’orange nagent parmi les cornflakes solidifiés par le lait et collés tels du ciment prêt à l’emploi.

Un moment de repos avant de s’attaquer à un brin de ménage vite fait, prélude à son départ précipité au travail. Ce n’est pas vraiment  la vie dont elle avait rêvé. La nostalgie, une pointe d’amertume, commencent à la guetter. Mais elle revoit Lise en train de lui expliquer qu’elle était cousine des cochons car omnivore comme eux et que c’était pour ça qu’elle n’avait pas besoin de bien se tenir à table. Leçon bien retenue pour une petite qui sait à peine écrire son nom ! Un léger sourire se forme aux coins de sa bouche qui se transforme en petit rire intérieur en imaginant Lucas, maçon plâtrant ses céréales sur des parpaings…ou mieux, ingénieur en TP à Caracas ou à Sydney. Finalement les rêves sont toujours possibles !


Il fait si froid dehors (Caroline)

Brrrr ! … Il fait un froid de loup !  On se croirait au Pôle Nord ! … glacial ! … J’apprécie le croissant bien chaud que je viens d’acheter et qui me brûle un peu les doigts cachés dans le confort de mes moufles.

Une journée longue et pas facile au boulot est récompensée par ce petit moment de plaisir égoïste et gourmand.

Je hâte le pas afin de retrouver mon appartement douillet et l’homme qui m’y attend.
Que la vie est belle, la soirée va être délicieuse !…
Ne surtout pas regarder au pied de l’immeuble cette silhouette allongée emmaillotée de couvertures, qui ressemble à quoi ?

A rien !… A un tas de chiffons sales.

Une pauvre vie abandonnée là, sans rien qui ressemble à un espoir sinon qu’il ne gèle pas plus fort cette nuit !

Que puis-je faire ?

Juste lui donner, avec un sourire, le croissant encore chaud qui, peut-être, lui fera du bien … Mais si peu de bien au milieu de toute cette solitude glacée …
Une minuscule gouttelette d’humanité, un tout petit point de lumière … La soirée sera douce et tendre mais … Il fait si froid dehors…


Surprise sur la banquise (P.)

Sur la banquise, un  croissant nordique s’est posé.

Mais que faisait ce papillon à Alert, sur l’île d’Ellermere, à 835 kilomètres du pôle Nord ?

Avait-il perdu le sud ?

Avait-il fui, cet été, les fournaises des forêts en feu du Nord canadien ? Il n’avait peut-être pas eu envie de finir comme un bon croissant tout chaud du dimanche matin.

Mais tout de même ! Avait-on déjà vu un papillon sur une banquise ?

Etienne Louis se gratta les rares cheveux qui lui restaient, après ces 35 années de funambulisme entre le pôle nord et le pôle sud.

Le pauvre se sentit déboussolé :  déjà que des géants des mers s’étaient lassés des mers chaudes et faisaient la nique aux banquises, du haut de leurs 66 mètres de hauteur, comme le fameux Symphony of the Seas ! Il y aurait bientôt, plus de croisiéristes, spécialistes en selfies, engoncés dans leurs combinaisons criardes que de pingouins sur cette banquise.

Mais alors quelle serait la terre d’accueil des pingouins ? Il n’était pas possible de repousser le pôle nord plus haut encore, là où la vie n’avait plus aucune couleur. Ils n’allaient tout de même pas non plus, finir sur les plages de sable fin des Caraïbes ?

Il farfouilla dans son barda de chercheur. Pas de trace d’un filet à papillons, vous imaginez bien.

Il se contenta de prendre son appareil photo ;  mais avant, il fixa de son œil nu, la fragile beauté de cet insecte  qui s’offrait là, à lui tout seul. Il immortalisa ce petit bout de vie. Quelques satellites plus tard, la photo atterrit dans l’ordinateur de son ami Thomas Croissant,  un des plus grands lépidoptéristes au monde. Peut-être que lui saurait trouver un sens à cette fugue polaire, à coup d’ailes dorées.

En attendant d’élucider ce nouveau mystère, il reprit son poste d’observation. L’ours blanc semblait l’attendre et guetter son regard. C’était tout de même lui, la star de la banquise. Enfin… jusqu’à preuve du contraire !

 


La boîte à mots, le jeu : octobre 2018

nov 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots d’octobre 2018 :  mairie, grâce, gris-souris


 Voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :


 

Les mots (Colette Kirk)

Tout a commencé dans le petit bois de Trousse Chemise, ce jour-là, j’ai perdu la tête. Je lui ai dit :

– Toi contre moi, viens au creux de mon épaule, donne tes 16 ans. Toi et moi c’est merveilleux l’amour !

J’ai pris sa jeunesse, j’ai effeuillé la marguerite.  Il te suffisait que je t’aime pour que l’amour nous emporte.

Plus tard tu m’as annoncé :

– Un enfant de toi pour Noël !

J’étais tellement heureux que je voyais le ciel plus bleu que tes yeux. A cette nouvelle je t’ai conduite à la mairie et nous nous sommes jurés une vie d’amour, entière. Tu portais avec tant de grâce cette magnifique robe blanche, alors que j’avais l’air emprunté dans mon costume gris-souris.

Pour notre voyage de noce, nous sommes allés en Italie, que c’est triste Venise. Je préfère quand le jour se lève, Paris au mois de mai. C’est formidable.

Comme les deux pigeons que nous sommes, nous vivons chichement  à la bohème, mais vivre avec toi, j’en déduis que je t’aime. J’ai toujours rêvé d’être artiste. Je me voyais déjà en haut de l’affiche, mais dans ce métier il est difficile de devenir  comédien et moi dans mon coin, je ne suis qu’un cabotin, comme ils disent. Je n’arrive pas à décrocher le moindre contrat. Alors je bois, je joue au poker et le reste du temps et bailler et dormir.  Sarah commence à en avoir marre de mes emmerdes et comme elle aussi change parfois je lui dis :

– Il faut savoir que tu n’as plus de charme, tu te laisses aller et que je n’ai pas envie de mourir pour toi !

Mais ce matin elle a plié bagage en me disant :

– Je pars avec le carillonneur, ton camarade. Lui au moins, il a du boulot, il joue la « Marche des Anges » sur les grandes orgues de l’église. Toi, tu n’es pas capable de faire une jam sur ce sacré piano même accompagné de deux guitares.

Je n’ai pas vu le temps passer !  T’en souvient-il ? Qu’avons-nous fait de nos 20 ans ? Tout s’en va après l’amour. Nous sommes devenus des étrangers, nous n’avons pas d’enfant. Mais je sais qu’au printemps tu reviendras, je t’attends, mon amour on se retrouvera,  on ne sait jamais…

Ce lundi 1er octobre, ils sont venus, ils sont tous là :

Ferret, Ferrat, Régiani, Gainsbourg, Brel, Béart,

Bécaud, Bassens, Moustaki, Mouloudji…

Tu leur as dit : emmenez-moi !

 A toi qui as si bien chanté l’Amour ! Adieu, Charles Aznavour

1924/2018


 

Mon village (Corinne P.)

J’habite en Ariège, dans un minuscule village de trente-cinq habitants, mais seule une quinzaine y vit à l’année. Maisons en pierres, toits aux tuiles rondes, ruelles étroites et pentues, c’est ce qu’on appelle un village de caractère. On n’y trouve ni café, ni boutique, pas même une boulangerie. Cependant, face au pont qui enjambe la rivière une minuscule bâtisse d’à peine deux pièces trône sur la place. Elle affiche fièrement sur sa façade : « Mairie» en larges lettres blanches, un peu défraichies certes, mais tellement symboliques.

Lors du dernier Conseil Municipal, des travaux ont été votés : mairie et lavoir seront repeints, et le choix de la couleur a fait débat, même si des règles strictes existent pour un village classé. C’est un joli gris-souris qui a été retenu et puis, grâce à une subvention du Conseil Général, l’accès à la rivière sera amélioré et un boulodrome aménagé.

L’été promet d’être joyeux, dans notre petit village. Mais, chut ! Ne le répétez pas trop !


 La rencontre (Martine)

Jude est attiré par une musique tsigane qui s’échappe du parvis de la mairie où un attroupement s’est formé.

Curieux, il se fraye un passage jusqu’au premier rang. Soudain, il blêmit. Cette danseuse, là, devant lui, c’est Marie ! Sa Marie ! Combien de temps qu’elle l’a quitté, sans explications ? Dix ans … oui dix ans déjà ! Oh bien sûr, il l’avait cherché, mais en vain ! Aujourd’hui, elle est là, face à lui, et exécute avec grâce une danse sensuelle. Son caraco noué sur sa peau dorée laisse entrevoir ses hanches qui ondulent et vibrent au son de la musique. Jude est pétrifié.

Près d’elle, un homme égrène des sons de jazz manouche sur sa guitare. Il a fière allure dans son costume gris-souris. Est-ce son compagnon ? Elle ne cesse de le regarder et virevolte fougueusement autour de lui. Ses bras l’invitent lascivement à venir la rejoindre sur un air de Django-Reinhardt.

Paralysé par l’émotion, Jude ne parvient pas à détacher son regard de cette femme qu’il a tant aimée. Au détour d’une pirouette, Marie se retrouve devant lui. Surprise, elle le fixe intensément. Puis, son regard azur s’illumine derrière ses cils fardés. Jude est tétanisé.

De furibondes notes de musique les ramènent à la réalité. Marie tourne la tête et, d’une enjambée, s’envole vers le musicien. L’homme cesse de jouer, pose sa guitare dans son étui puis salue les spectateurs en tenant Marie par la main. Ravis du concert, les badauds se sont agglutinés pour féliciter au plus près les artistes. Marie disparait, aspirée par la foule. Jude se débat pour l’approcher mais la horde résiste. Il faut qu’il lui parle, il faut qu’elle lui donne des explications, il faut… mais il se retrouve prisonnier et ne peut s’échapper.

Quelques instants plus tard, la place est vide. Il se retrouve seul, désemparé. Marie s’est évaporée !  Soudain, une voiture surgit à sa hauteur. Machinalement, il tourne la tête et la voit, assise près du musicien. Marie le dévisage avec tendresse puis lui adresse un signe de la main alors que le véhicule s’éloigne.

Jude a alors une idée ! Le duo a dû demander une autorisation pour se produire sur le parvis ! Plein d’espoir, il escalade quatre à quatre les marches du perron en direction de l’accueil de l’hôtel de ville. Il n’a pas remarqué que, derrière lui, la voiture qui emmenait Marie a fait demi-tour et est en train de se garer le long du trottoir.


Danses d’octobre (Camille)

 

C’était un de ces beaux jours du mois d’octobre que l’on vit comme un sursis à l’hiver ou une prolongation de l’été. Il n’était que seize heures, mais le soleil déclinait déjà sur la vieille mairie à la façade aux allures de château. Nous étions vendredi, le plus beau jour de la semaine, comme la promesse d’un beau week-end qui s’annonce après une semaine bien remplie. Arnaud venait de franchir la grande grille du parc. Le vent frais de ce début d’automne faisait pleuvoir les petites feuilles jaunes des tilleuls dans une danse légère.

Arnaud aimait ce parc au milieu de la ville. Il le traversait souvent en courant pour rejoindre son bureau au premier étage de la banque, face à l’hôtel de ville. Souvent en retard, Arnaud. Mais ce soir, il sortait plus tôt. La douceur des derniers rayons du soleil, la lumière dorée dans le feuillage clairsemé des marronniers s’imposaient à lui comme une force irrésistible. Comme un chat s’allongeant derrière une vitre, il s’installa sur un banc au soleil. Ces chaussures bien cirées et sa cravate jaune complétaient l’élégance de son costume gris-souris. La tenue dénotait avec l’ambiance détendue qui régnait sur les pelouses. Les enfants sortis de l’école frappaient dans un ballon qu’ils envoyaient voler d’un coup de pied dans un jet de feuilles sèches.

Arnaud desserra le noeud de sa cravate, l’enroula dans sa poche et déboutonna son col. Il n’était pas dans ses habitudes de s’attarder ainsi le soir. Son quotidien n’était que trajets rapides et missions précises.  Un coup d’œil à sa montre lui signifiait qu’il venait de rater le premier train pour Strasbourg. Et pourtant, il restait là assis. Il se surprenait à écouter tomber les feuilles sèches sur l’allée. Leur léger froissement à l’atterrissage se mêlait au clapotis du jet des fontaines au milieu des jardins. Il se souvenait avoir recherché l’ombre la dernière fois qu’il s’était arrêté dans ce parc. C’était alors le début de l’été et les arbres chantaient autrement. Aujourd’hui la brise agitait les branches dans un chant de papier de soie froissé. Ce moment était de ceux que l’on emporte avec soi pour passer l’hiver, comme une petite couverture de laine pour se réchauffer dans les longs mois de grisaille.

Arnaud n’avait rien prévu pour la soirée et un train partait chaque heure à destination de Strasbourg, mais il s’était donné comme limite le coucher du roi derrière les grandes fenêtres des salles de réception de l’hôtel de ville. Lorsque l’astre qui l’avait réchauffé depuis une heure ne fut donc plus qu’un halo sur les longs toits gris, il se leva pour rejoindre la gare. C’est alors qu’il la sentit passer devant lui. Elle dégageait un parfum fleuri d’été sublimé par la douce chaleur de cette fin de journée. Elle se déplaçait avec la grâce d’une danseuse. Sa robe, légère pour la saison, flottait à la brise. Ses longs cheveux enroulés en chignon libéraient une longue nuque fine. Arnaud lui emboîta le pas pour franchir la grille du parc qu’il retint poliment pour la laisser passer. Ils entamèrent ensemble un menuet aux gestes élégants autour du portillon grinçant. Si l’on vous demande pourquoi les parcs ont des grilles… peut-être est-ce pour le plaisir de les ouvrir. Elle le gratifia d’un sourire et d’un merci timide et traversa l’avenue. Arnaud suivit ainsi la belle inconnue jusqu’à la gare où elle se rendait aussi, puis sur le quai où arrivait le train pour Strasbourg. Il monta dans le wagon dans lequel elle s’engouffra.

A la sortie de la gare de Strasbourg, Arnaud ne marchait plus derrière, mais à côté de la belle inconnue qui s’appelait Sarah. En la saluant devant l’entrée des artistes du théâtre, il savait pourquoi ce jour-là le ballet des feuilles d’automne l’avait mené à ce banc. Il savait que le soleil de cette fin de journée le réchaufferait encore longtemps.

 


Comptine (Caroline)
Une souris verte qui courait dans l’herbe… et bien non !
La mienne , celle que j’aperçois essayer de se cacher, n’est pas verte mais simplement « gris souris » et de plus elle ne court pas dans l’herbe mais est terrorisée et ne trouve plus le courage de fuir…
Je j’attrape par la queue , la soulève au niveau de mes yeux …. et voici que soudain des mots sortent de son joli petit museau tourné vers moi !
Stupéfaite je l’entends me dire :
– De grâce, ne me trempez pas dans l’huile ne me trempez pas dans l’eau, je ne deviendrai jamais un artichaut tout chaud !
Sidérée et désarmée je la repose doucement par terre et lui ouvre la porte.
Elle s’enfuit très vite Et c’est alors que retentit le signal qui indique la fermeture des bureaux de la mairie pour laquelle je travaille.

M’étais-je assoupie ? Ai-je rêvé ? Ou pas ?


 

Promesses (Monique)

Aujourd’hui, Aurore se lève tôt, la boule au ventre. Impression désagréable ? Non, juste inhabituelle et quelque peu dérangeante. Le soleil pointe derrière les rideaux, le temps s’annonce splendide, heureusement ! Dans une poignée d’heures, Aurore dira « oui » à Félix. Ils s’aiment depuis fort longtemps et les quelques années de séparation n’ont pas ébranlé leur amour. La  robe de mousseline blanche, confectionnée avec soin par sa marraine, attend sur le mannequin au fond de la chambre.  Un bref encas en guise de petit déjeuner, une touche de maquillage, un voile de laque sur ses cheveux brossés et Aurore revêt sa toilette d’un jour. Felix doit déjà l’attendre à la mairie du village, sur la petite place ombragée de platanes centenaires, à deux pas. C’est avec infiniment de grâce qu’Aurore parcourt  les quelques mètres qui la séparent encore de son futur époux. Elle l’aperçoit, de son mètre quatre-vingt-quinze il domine l’assistance, parait un peu endimanché  dans son costume neuf, gris-souris. La future mariée ralentit le pas, une larme coule sur sa joue et sa bouche accueille la perle salée. Elle songe à ses parents absents, aujourd’hui, le plus beau jour de sa vie. Ce père et cette mère disparus trop tôt qui la laissent désormais orpheline. Mais déjà Felix la rejoint, l’embrasse et l’emporte vers un avenir plein de promesses.


 

 

 


 

Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


La boîte à mots, le jeu : septembre 2018

oct 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de septembre 2018 : cinémathèque, désert, apprécier


voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :


L’Imprévu (Martine)

Fred sort du métro puis s’engage dans la rue de Bercy. A quelques mètres de la cinémathèque française qu’elle n’est pas sa stupeur ! Le parvis est désert. Étonnant à onze heures ! Aucune file d’attente devant le bâtiment ! Seuls quatre vigiles, cachés derrière leurs larges lunettes de soleil, scrutent attentivement les alentours.

– Ma visite semble fichue, songe Fred. Que se passe-t-il ?

Au même instant, Nadège sort de la cinémathèque par une petite porte dérobée. Fred la voit et rapidement va à sa rencontre. A coup sûr son amie va pouvoir le renseigner puisqu’elle travaille ici.

– Hello Nadège!

– Bonjour Fred, comment vas-tu ?

– Je vais bien. Sais-tu pourquoi la cinémathèque est fermée ce matin ?

– Les lieux ont été réservés par un couple V.I.P. pour une visite privée toute la matinée. Les visiteurs en possession de billets électroniques ont été prévenus mais évidemment pas ceux, comme toi, qui ont décidé de venir sans réservation. Il ne te reste plus qu’à revenir cet après-midi.

– C’est ennuyeux. Cet après-midi j’ai autre chose de prévu.

Nadège sourit. Elle reconnaît bien là son ami. Avec lui, pas de place à l’imprévu, tout est programmé. Malicieusement, elle suggère :

– On pourrait peut-être allez prendre un pot ? Enfin, je te dis ça… mais je te laisse apprécier ma proposition.

Fred rougit. Si elle savait combien elle ne le laisse pas indifférent ! Mais sa timidité le freine à exprimer ses sentiments. Pourtant, ce matin, le destin semble lui tendre une « perche ». L’occasion est trop belle pour la laisser passer…

– Avec plaisir, répond-il. Nous pourrions même déjeuner ensemble si tu es d’accord. Tu pourrais aussi m’accompagner à l’Institut du Monde Arabe ensuite si tu n’es pas pressée ?

– Allons-y ! répond-elle dans un éclat de rire.

Spontanément, elle glisse son bras sous celui de Fred et tous deux s’éloignent  gaiement alors que le couple de V.I.P. apparait sur le seuil de la cinémathèque pour s’envoler vers une autre destination.

 


Paris (Caroline)

PARIS est un désert au mois d’août, tout le monde sait cela !

D’habitude j’apprécie le plaisir de déambuler tôt le matin avant que les avenues et mêmes les petites rues ne soient envahies de touristes, dont certains se satisferont de poser au côté d’une statue ou d’un monument historique !

J’en ai vu lors d’une visite à l’opéra Garnier, se prendre en  » selfie » avec le plafond de la rotonde !
Heureusement la Joconde au musée est protégée … Je me promène dans la chaleur installée sur la ville.
J’ai dû rester à Paris afin de régler un léger problème, mari,  enfants et amis sont dispersés aux quatre coins des vacances, de plus, avec regret, j’ai tourné la dernière page d’un « chouette  » bouquin.
C’est toujours un moment difficile, aurais-je le même plaisir avec le prochain livre ?
J’apprécie d’être seule, souvent, mais pas aujourd’hui, que faire ?

Tiens … si j’allais voir un vieux « chef d’œuvre » à la cinémathèque !   Il doit y faire frais …
Je suis installée dans le noir … sur l’écran le film est en noir et blanc… peu de mouvement … peu de paroles… peu d’intérêt… Je suis hermétique au sujet, je m’ennuie !!

Allez ouste !… Je sors de la salle pour me mêler aux touristes et je les regarde avec amusement faire leurs selfies…

 


  Le film (Colette Kirk)

– Mais mamy ! Pourquoi veux-tu que je t’accompagne à la cinémathèque ?

– Parce que je voudrais y effectuer des recherches.

– t quelles recherches ?

– Oh ! Tu sais c’est une lointain souvenir mais que je voudrais, avant de disparaître, le revivre.

– Tu peux préciser et me raconter ?

– J’étais une toute jeune fille et je m’étais mise en tête de devenir, aux grands désespoirs de mes parents, comédienne. Mon père m’ayant menacé de me couper les vivres si je ne continuais pas mes études, je fini par faire ma valise et quitter le toit familial. Les débuts dans le métier furent difficiles. Pour pouvoir me payer les cours d’arts dramatiques, je faisais de la figuration dans certains films. C’est précisément sur l’un d’eux que j’ai besoin de faire une recherche. Le scénario de ce dernier était plutôt banal. C’était une aventure entre un prince arabe et une danseuse de cabaret. Pour je ne sais quel conflit, il y avait également affrontement entre les arabes et la Légion étrangère.  La bataille avait lieu en plein désert. Apparemment le budget du film ne permettait pas de se rendre au Sahara en Algérie, alors ce dernier a été tourné à Ermenonville à « La Mer de Sable ». Pour le décor, quelques rochers de papier mâché, trois ou quatre faux palmiers, des tentes et une petite caravane de vrais dromadaires. Depuis, 1963, je crois  maintenant que c’est un parc d’attractions apprécié par de nombreux visiteurs. Donc pour en revenir à mon film où j’avais un tout petit rôle. Dans ce dernier, habillée en bédouine, je portais secours à un légionnaire gravement blessé qui réclamait à boire, mais le malheureux mourait dans mes bras. Cette scène ne durait que deux ou trois minutes mais a permis à la caméra de fixer pour la postérité mon image que je pensais utile pour ma future carrière de star. Le problème, vois-tu c’est que j’ai oublié le titre de ce film. Le légionnaire était également un figurant, pourtant je me souviens de lui comme dans la chanson : il était mince, il était beau, il sentait bon le sable chaud, mon légionnaire. Y’avait du soleil sur son front qui mettait dans ses cheveux blonds de la lumière. Je ne l’ai jamais revu sur le plateau d’un autre tournage. Aussi je suppose que mon bel inconnu a depuis pris du ventre, des cheveux blancs et marche avec une canne. Et lui se souvient-il de moi ? Quant à moi, j’ai rencontré un grand brun, costaud qui m’a donné le plus beau rôle de la vie : être sa femme et la mère de ses enfants.

 


Retour à la campagne (Susan)

Aujourd’hui Marie a la nostalgie du pays de son enfance. Ce manteau ouaté de neige poudreuse étalée sous la canopée de la forêt hivernale qui emmitoufle et câline, ce bercement de clapotis au bord du lac où se reflète le ciel étoilé d’été, l’odeur capiteuse des vastes prairies désertes parsemées de genêts jaune vif au printemps… toutes ces choses qui à l’époque lui semblaient mortellement ennuyeuses, maussades et monotones lui paraissent merveilleuses avec le recul. Les longues journées où elle se morfondait, cloîtrée dans sa chambre à observer la pluie incessante d’automne, se sont transformées dans son esprit en moments de paix et de bien-être.

Elle a eu hâte de quitter cet endroit qu’elle n’appréciait guère. Elle rêvait de jolies boutiques aux vitrines captivantes où s’étalaient des robes chamarrées et chatoyantes, de restaurants aux lumières scintillantes, de bals où l’on danse frénétiquement  jusqu’à l’aube, de cinémathèques et de concerts techno, de foules animées respirant la vitalité.

Aujourd’hui grisonnante,  elle réside dans une banlieue morne et déprimante où des gens cohabitent avec autant d’élégance que des carpes affamées dans un bassin étriqué.  Ses oreilles sont assaillies par le fracassement des voitures qui passent et repassent sous sa fenêtre.  Son cœur bat au rythme  des autobus bondés qu’elle attend et qui tardent à arriver. Son corps est imprégné de l’odeur de sauvagine du métro qu’il faut emprunter pour aller au travail. Elle n’est jamais seule mais sa solitude est totale.

Elle attend. Dans trois ans elle prendra sa retraite et elle retournera chez elle à la campagne.

 



Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


 

la boite à mots de l’été 2018

sept 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les  mots de l’été 2018 :

  •  juillet : sourire, arc-en-ciel, abandon – (pourquoi, se délecter)
  •  aout : émouvant, enfant, désormais – (couleur, séduire)
  • Et une proposition plus ambitieuse, celle de « dis-moi dix mots » :La nouvelle édition « Dis-moi dix mots sur tous les tons » met à l’honneur l’oralité. Chacun est invité à s’interroger sur les multiples usages de la parole : celle-ci se libère, à voix basse ou à voix haute, avec ou sans accent. Elle se déclame dans les discours, s’échange au cours de débats, se met en scène au théâtre et laisse toute sa place à l’improvisation autour des dix mots choisis : accent, bagou, griot, jactance, ohé, placoter, susurrer, truculent, voix, volubile. (plus d’informationet toutes les définitions sur le site www.dismoidixmots.culture.fr)

voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :



 

l’enfant refugié (Susan Clot)
L’enfant refuse obstinément d’abandonner  le  petit bout de chiffon grisâtre qui l’accompagne partout.  Depuis deux mois, dans un état d’hébètement, il suit  péniblement les adultes qui l’ont pris en charge. Depuis deux mois il fait parti de ce troupeau en transhumance, entouré par des inconnus bienveillants mais fortement sollicités par leur propre progéniture et trop exténués  pour lui accorder beaucoup d’attention.
Ce chiffon est tout ce qui lui reste de sa mère. Elle  lui manque, mais il ne se souvient qu’à peine de son visage, de sa voix, de son sourire. Il n’a que ce bout de tissu dont l’odeur, souvenir d’une vie antérieure,  s’étiole au fil des kilomètres. Est-ce un mouchoir, un bout de drap, un bout de vieille robe ?  On devine quelques traces de couleur  arc-en ciel effacées par de multiples lavages,  des larmes, des intempéries et de  la saleté.

Chez les Duclos les actualités télévisées passent en sourdine. Gros plan sur un petit bonhomme de cinq ou six ans aux yeux ronds et tristes qui  tripote un bout de tissus gris. On sait que c’est un migrant, mais on ne sait pas d’où il vient, ni où il va, ni pourquoi il est parti de chez lui.  Est-ce un Mexicain, un Rohingyas, un Syrien, un Afghan ? Peut-être même un Soudanais, un Albanais. Des migrants…il y en a tellement.
Les enfants regardent l’écran d’un œil distrait entre deux bouchées de lasagne, leur plat favori. Ils  se délectent bruyamment du repas, tout en prenant des précautions pour ne pas mettre de la sauce tomate sur leurs  teeshirts. Ca serait grave.
—    Dépêchez-vous de finir. C’est l’heure  de Kolanta, dit le père avant de changer la chaîne.


Rupture (Colette)

Assis à son bureau, Serge, rédige une lettre à l’intention de Brigitte, sa maîtresse.

Mon tendre et cher amour

Encore une fois , je viens te demander pardon pour mon attitude d’hier. Je comprends ta réaction lorsque tu ma surpris dans les bras de Laure, ta meilleure amie. Mais tu me connais, je suis incapable de résister au sourire d’une jolie fille. Dorénavant tu n’auras plus à souffrir de mes infidélités. Aussi je prends la décision d’une séparation entre nous deux.  Et pourtant, je t’aime, tu es mon arc-en-ciel , la lumière de mes yeux, les battements de mon. cœur. Jamais je ne t’oublierai.  Adieux

                                                Serge

Pliant  la lettre et la glisse dans une enveloppe, puis il écrit dessus : Pour Brigitte

Il ouvre un tiroir, en sort un browning, pose le canon sur sa tempe, le doigt sur la détente et… Quelques secondes s’écoulent, il repose l’arme, se lève , se dirige vers le bar et se sert un demi-verre de whisky. Un miroir au dessus du meuble, lui renvoie son image. Il se regarde et se trouve belle allure, beau gosse même.  Il reprend un second verre s’en délecte et déclare que la vie est belle et qu’il a tout l’avenir devant lui. Alors il faut en profiter ! Oubliant la lettre, il attrape son pardessus, son chapeau et sort rapidement de la pièce. Dans l’escalier, il bouscule une domestique : Monsieur sort ? Oui ! Je me rends à mon Club, je rentrerai tard ou peut-être pas du tout dit-il en riant. Au moment où il s’élance sur la chaussée, il est ébloui par des phares, l’auto freine, c’est le choc, le trou noir. Affolé le conducteur sort de son véhicule, c’est trop tard, il n’y a plus rien à faire. Un témoin appelle la police. Quelques minutes plus tard le commissaire Trouvetou et l’inspecteur Leflaire sont sur les lieux de l’accident. Dans les poches de la victime les policiers découvrent ses papiers et son identité : Serge Laventurier, domicilié 13 Rue du Pas de Pot, déclare le commissaire. Mais c’est juste en face, constate l’inspecteur. Pendant que les ambulanciers emportent le corps de Serge, les policiers se rendent à son domicile. Après avoir sonné plusieurs fois à la porte, une jeune femme vient ouvrir. Elle est en bigoudis, mal réveillée, elle  interroge : C’est à quel sujet ? Monsieur Laventurier habite bien ici ? Oui ! Mais il n’est pas là ! Ça ! On le sait, il vient de se faire renversé par une voiture, il est mort.   Permettez qu’on entre. Surprise la demoiselle tombe évanouie dans les bras d’un agent. Rapidement les policiers trouvent sur le bureau le revolver et la lettre. Comme l’enveloppe n’est pas cachetée le commissaire en prend connaissance. Après lecture, il en conclu que c’est bien un suicide. A ce moment  une femme crie et tente de forcer le ba rrage des agents.

– Mais laissez-moi passer, je dois voir  monsieur Laventurier d’urgence.

– Laissez monter ! ordonne Trouvetou . Puis-je savoir qui vous êtes ? Brigitte Malchance, l’amie de Serge Laventurier. Qu’est-ce qui se passe ?

-Vous connaissez bien ce monsieur, parlez-nous un peu de lui ?

– Ah ! Je vois, il a encore été se fourrer dans les emm… C’est le plus fieffé menteur, joueur, escroc, coureur, lâche sans aucun scrupule que la terre aie porté. Je ne saurais vous dire combien de fois il m’a quitté pour une autre femme. Puis monsieur revenait , penaud, me demandant pardon pour cet abandon, disant n’aimer que moi et qu’il se suiciderait si je le quittais. Mais maintenant je ne le crois plus, il est incurable. Aussi depuis hier j’ai décidé de partir définitivement. Je viens chercher quelques affaires qui sont chez lui. Mais pourquoi toutes ces questions ?

– Mademoiselle, soyez courageuse, votre ami s’est effectivement suicidé.

– Ah ! Enfin, pour une fois, il a tenu parole !

 


Vide et bien (Gg)

C’est bien connu, dans le vide intersidéral tout abandon fait figure de lèse-majesté. Encore quand il s’agit d’un petit caillou, ici ou là, de la taille d’un protozoaire, cela ne se remarque guère. Ou si peu! L’Espace est vaste dans nos régions lactées mais on peut y trouver sa voie pour peu que l’on suive le fléchage de l’arc-en-ciel. C’est ainsi, qu’un beau jour de novembre, alors que Zébulon poursuivait, infatigable, une girafe au poil argenté (spécimen relativement fréquent dans la constellation du cygne), il tomba nez-à-nez, si j’ose m’exprimer ainsi, avec un sourire. Un sourire! Mais comment avait-il pu débarquer là, ce sourire, d’autant qu’il ne s’imprimait sur aucun visage. Non, il n’était que sourire, à des années-lumière de toute vie qu’elle soit évoluée ou non. Ce doit être un mirage pensa Zébulon, mais, le fait même de formuler cette pensée provoqua une accentuation prononcée des couleurs de l’arc-en-ciel lesquelles investirent les incisives puis les canines et enfin les molaires donnant au sourire une flamboyance extraordinaire dans le ciel de traîne des galaxies lointaine. De quoi se délecter au seuil de l’éternité sans se poser l’éternelle question du pourquoi.


Trop beau !  (Caroline)

L’arc en ciel c’est la magie de l’alliance entre la brume et le soleil !
C’est un sourire du ciel qui se penche pour regarder notre si belle planète bleue et remercier sa nature.
Elle n’abandonne jamais cette fidèle et belle amie !
Chaque année elle regonfle les buissons et fait refleurir les prairies !
C’est un sourire qui chaque fois redonne aux oiseaux l’envie de lancer leures trilles musicales.
C’est l’espoir et la palette des couleurs de la vie !
C’est un très joli cadeau que le ciel nous envoi.


Les caprices du ciel (Martine P.)
Quelle chaleur ! Je suis épuisée. J’étouffe. Ah ! Si seulement une petite averse pouvait surgir !
Soudain, le ciel se noircit et devient menaçant. S’en suit, d’inquiétants roulements.
Puis un déluge s’abat. Brutal, furieux, enragé. Je dégouline dans mon tee-shirt trempé.
Là, sur ma droite, un porche me tend les bras. Vite, je m’y abrite. Des chants attirent mon attention. Je vois surgir deux diablotins hilares qui sautent dans les flaques d’eau en chantant à tue-tête. Ils me gratifient d’un large sourire en passant devant moi. Pourquoi ne s’abritent-ils pas eux aussi ?
Quelques minutes plus tard, l’orage s’éloigne. Aussitôt, une palette arc-en-ciel emplit le ciel. L’écharpe colorée inonde les toits ruisselants des maisons. Je me délecte de ce spectacle lumineux et décide d’immortaliser cet instant en prenant une photo avec mon téléphone portable.
Un timide soleil pointe le bout de ses rayons. Il s’enhardit jusqu’à embraser, à nouveau, l’atmosphère.
Abandon des bourrasques, retour de la chaleur, la saison estivale est belle et bien installée.


Nostalgie (Colette)

Je me souviens…
Je venais de quitter ma province pour poursuivre mes études de médecine à Paris. Par soucis d’économie, je logeais dans un immeuble de la rue Gabrielle, à Montmartre, dans une chambre de bonne au 6ème, sous les toit. Cette dernière n’était pas bien grande et meublée sommairement : un lit grinçant, une table bancale, une chaise, une armoire, une cuvette et un broc. L’eau était sur le palier. Il n’y avait pas de fenêtre, seulement une lucarne qui me permettait, en montant sur la chaise de découvrir les toits de Paris. Au même étage, un autre locataire, un africain venu en France étudier la littérature et la philosophie. Il disait qu’une fois rentré dans son pays il deviendrait griot.
La concierge, une brave femme qui entretenait l’immeuble, volubile avec son accent des faubourgs colportait tous les potins du quartier en vous chuchotant :
– Et surtout vous gardez ça pour vous !
Je me souviens…
Lorsque j’allais place du Tertre, j’y trouvais un lieu calme, chaleureux, vivant où tout le monde semblait se connaître. Des peintres posaient leurs chevalets et barbouillaient leurs toiles des divers sujets qui les entouraient et surtout la basilique du Sacré Cœur. Ici planent encore les ombres d’Uttrilo, Renoir, Toulouse Lautrec, Picasso… Des caricaturistes en quelques coups de fusain croquaient les passants assis posément attendant le résultat de leur portrait. Pas mal le dessin, plutôt ressemblant ! Manou, la diseuse de bonne aventure avec sa jactance prédisait l’avenir en lisant dans les lignes de la main. Sur un banc, deux amoureux partageaient le même verre de diabolo menthe en se susurrant des mots d’amour. Un clochard jouait de l’harmonica pendant que son chien dansait en tenant dans sa gueule un chapeau qu’il présentait aux passants semblant leur dire :
Ohé ! A vot’bon cœur, m’ssieurs, dames, pour le repas d’ ce soir que je partagerais avec mon maître !
Un truculent chanteur des rues vendant ses partitions, paroles et musique interprétait à pleine voix le dernier succès du jour de Georges Ulmer, encourageant les badauds à reprendre, en chœurs, le refrain :

Un p’tit jet d’eau
Un’ station de métro
Entourée de bistrots
Pigalle…
Ca vit, ça gueul’
Le gens diront c’qu’ils veul’nt
Mais au monde y a qu’un seul
Pigalle !

Je me souviens aussi…
Qu’il faisait chaud et que les terrasses des cafés, « Le Sabot Rouge », « le cabaret de la Bohème », « le restaurent de la Mère Catherine », « le Cadet de Gascogne » étaient pleines de clients. Il y avait quelques promeneurs parisiens, provinciaux mais peu de touristes.
Un groupe de garnements, des petits poulbots avec leur bagou de titi parisien tenaient conseil.  Encore en train de mijoter une de leur bêtise dont ils avaient le secret. Puis telle une envolée de moineaux ils disparaissaient parmi les promeneurs.
La journée terminée, les chevalets se repliaient, les boites de crayons étaient rangées et les promeneurs se dispersaient. Au crépuscule les lampadaires s’allumaient, les volets de riverains se fermaient. La lune montait dans le ciel étoilé, le quartier faisait place aux noctambules, à ceux qui prennent la nuit pour le jour.
Oui je me souviens de tout cela… C’était en 1951, j’avais 20 ans !
Depuis je n’ai jamais quitté Montmartre, j’habite toujours rue Gabrielle, même immeuble, mais je suis descendu de quelques étages lorsque j’y ai ouvert mon cabinet. Un interphone a remplacé la concierge.
Maintenant je suis un vieux monsieur, qui vient souvent s’asseoir sur un banc place du Tertre.
Ce n’est plus pareil, le charme est rompu. Des cars déversent leurs flots de touristes de tous les pays. On y entend toutes les langues comme à la Tour de Babel. Parfois des québécois que l’on reconnaît à leur façon de placoter.
A petits pas je rentre chez moi, mais je ne peux m’empêcher de fredonner en marchant cet air que chantait Cora Vaucaire :

En haut de la rue saint Vincent, un poète et une inconnue
S’aimèrent l’espace d’un instant, mais il ne l’a jamais revue
Cet chanson il composa, espérant que son inconnue
Une matin de printemps l’entendra, quelque part au coin d’une rue
La lune trop blême pose un diadème sur tes cheveux roux
La lune trop rousse de gloire éclabousse ton jupon plein de trous
La lune trop pâle caresse l’opale de tes yeux blasés
Princesse de la rue sois la bienvenue dans mon cœur blessé
Les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux
Les ailes des moulins protègent les amoureux

 


L’Homme (Patriccio)
C’est fou ce que ça fait du bien de sourire franchement à toutes ces passions qui nous viennent du fin fond des âges et qui culminent à une certaine hauteur de notre stupeur pour le commun des mortels ; je veux dire qu’il faut de l’ambition démesurée pour voir en l’Homme autre chose qu’un animal doué de raison et encore, la raison vacille chez lui, plus qu’à toute autre espèce…
Mais semble-t-il qu’il se régénère…
Alors pourquoi se délecter dans la fureur de ses passions ? Ne sont-elles pas son cri ? Perçant toutes les murailles qui lui ont été mises en travers de son chemin… L’Homme serait-il autre chose que sa voix qui raisonne depuis des millions d’années à travers le temps pour signaler qu’il existe au-delà des planètes ? Ou alors fait-il semblant pour se chauffer et se stimuler pour se sentir exister ?
On a tant souri, toi et moi, pour se sentir vrais que j’ai oublié ce que ça fait d’être à nouveau seul, à me poser des milliers de questions pour connaître ce qu’il m’arrive, soudainement ; être seul et ne plus avoir quelqu’un à qui confier mes doutes, mes peurs, mes rires, ce qui me fait envie, ce qui m’afflige, ce qui m’excite ou me fait débander. Je n’y arrive plus. Je pense tout le temps à toi et me demande, à chaque fois avec qui tu es. Tu étais mon rayon, mon arc-en-ciel. Et me voilà dans l’abandon le plus total. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça ? J’étais plutôt enjoué, motivé par la vie, notre vie, que je voyais filer comme du vent, ne me tenant pas pour le futur qui m’enivrait de manière condescendante et savait à quoi s’en tenir sur mes arguments à ton sujet… Je voyais tout dans un verre d’eau bien rempli par ta peau et ton odeur affriolante…
Mais maintenant que tu n’es plus, je me demande à quoi sert ma vie et la vie de l’Homme, en général… Car les passions de l’Homme ne sont dictées par aucune foi en quelque chose de spirituel, voire mystique, il pense par l’action et seulement l’action, peu importe pour lui les conséquences de ces actions et peu importe pour lui que sa raison vacille, si elle lui fait du bien, au final, il aura gagné de la certitude à son existence…Et même si cette existence est pauvre… Je veux dire miséreuse, car même dans le stupre il trouvera de quoi sourire à nouveau à la vie, car il se sentira exister, à ses propres yeux et aux yeux de certains de ses proches ou amis fidèles.
En fait les passions auxquelles nous devrions sourire, à peu près toutes, n’existent que parce que l’Homme s’attache à ses maux qui le troublent et le font fuir de la réalité, or il s’en invente une autre qui devient sa passion, qu’il poursuivra sans cesse jusqu’à son trépas… Ce sera son arc-en-ciel et même si il s’y abandonne, plus par orgueil que par réel sentiment, il s’en délectera : ça le fera vivre, ça le fera exister.

—-
Souvenir (Caroline)

Désormais… Voilà un mot qui me fait peur !
C’est presque définitif !
Désormais je serais sage comme disent les petits enfants après avoir été pardonnés d’une grosse bêtise.
Désormais tu ne mangera plus de ces délicieuses bouchées au chocolat me conseille le pèse personne de ma salle de bain dont le curseur révèle ma coupable gourmandise.
Désormais je ne me laisserais plus séduire par le si joli petit pull dont j’ai déjà le frère plié sur l’étagère de mon dressing.
Désormais je serais tolérante et plus attentive à mon prochain… et puis…
Un souvenir émouvant me vient à l’esprit…
Un jour ou j’étais en campagne profonde, chargée d’une carabine 22 qu’un ami chasseur m’avait offerte. Moi qui ne chassais pas cela m’avait surprise, mai lui aimait les armes.. ..
Soudain, au creux d’un chemin, j’entendis un léger bruit.
Alertée je m’arrêtais… c’était un petit mulot occupé à ses affaires…
Je le visais et… Le tuais !
De ma vie je ne me suis sentie aussi sotte et coupable. !
Quel geste imbécile… tuer ce petit animal qui ne demandait rien à personne !
Désormais je ne tue plus et n’ai plus de fusil !


Le gala de fin d’année (Martine P.)
Désormais je comprends ! Je comprends à mon tour l’émoi de ma chère Maman lorsqu’elle assistait à mon spectacle de fin d’année à l’école Pasteur. Je ne comprenais pas son émotion lorsque je la regardais assise, là, au premier rang, des larmes embuant ses beaux yeux azur. Aujourd’hui, j’ai compris. Il est tellement émouvant de voir son enfant virevolter au son d’une musique entraînante, dans son habit de couleur.
Je ne quitte pas la scène des yeux. Mila évolue au rythme de la musique. Elle tient par la main Juliette et esquisse scrupuleusement les pas de danse qu’elle a appris pour séduire les spectateurs.
Leur danse terminée, les « petits rats en herbe » s’avancent sur le devant de l’estrade et saluent le public. Leur crainte envolée, ils affichent un visage souriant pour recevoir des applaudissements bien mérités. Mila m’a repérée. Elle me fixe d’un regard interrogatif.
–    Bravo ! Bravo ! Tu as été magnifique.
Rassurée, son visage s’illumine. Elle me gratifie discrètement d’un petit signe de la main avant de s’esquiver dans les coulisses avec ses camarades.
Quel moment merveilleux cette fin d’année scolaire ! Vive les vacances !


Le Fanfaron  (Patriccio)
Je faisais le fanfaron, oui désormais,
J’étais abonné au mois de Mai,
Où tout n’est que floraison,
Où les fleurs pleurent plus que de raison…

Ce mois qui m’enivrait le poil,
Ressemblait, à s’y méprendre, à mes désirs d’enfant :
J’entonnais avec moi, devant la toile,
Les chansons qui me berçaient dans le fond

Et je vivais les mois d’hiver,
Où rien ne respirait comme aux enfers,
Me tourmentant dans l’allégorie,
D’une plaine hydratée de logorrhée.

Cet enfant que j’étais, du reste émouvant,
Ne semblait pas connaître de moments de beauté,
Il était perturbé par la pluie et le vent
Et ne savait que faire : se venger ou s’ôter.

Mais c’est quand je faisais le fanfaron, que tout se décida :
Je n’étais plus ici, mais devisait là-bas…
Je rigolais de mes blagues et de mes clowneries,
Les autres, m’empêchaient de dire ces conneries.

J’étais cet enfant et ma couleur préférée : le noir,
J’étais cet enfant qui ne parlait pas beaucoup, le soir,
Mais j’avais ce sourire qui dévisageait le monde,
Et j’avais envie d’en rire : l’aspect immonde…

Oui, je veux dire que je fuyais cet aspect,
Qui, pour me séduire, prenait toutes les formes :
Rondes ou bien planes, immenses et informes,
Elles savaient tout de moi et me manquaient : le respect…



Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


la boite à mots : été 2018

juin 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Notre jeu d’écriture qui reprend pour l’été:

Écrivez-nous une histoire en utilisant les 5 mots proposés, dont 2 optionnels :

  •  juillet : sourire, arc-en-ciel, abandon – (pourquoi, se délecter)
  •  aout : émouvant, enfant, désormais – (couleur, séduire)

 

Et une proposition plus ambitieuse, celle de « dis-moi dix mots » :

La nouvelle édition « Dis-moi dix mots sur tous les tons » met à l’honneur l’oralité. Chacun est invité à s’interroger sur les multiples usages de la parole : celle-ci se libère, à voix basse ou à voix haute, avec ou sans accent. Elle se déclame dans les discours, s’échange au cours de débats, se met en scène au théâtre et laisse toute sa place à l’improvisation autour des dix mots choisis : accent, bagou, griot, jactance, ohé, placoter, susurrer, truculent, voix, volubile. (plus d’informationet toutes les définitions sur le site www.dismoidixmots.culture.fr)

Envoyez-nous votre histoire (le-jeu@silesmotsavaientdesailes.fr)

voir les règles du jeu ici

N’oubliez pas de le titre et  le nom d’auteur !!!

la boîte à mots fait une pause

mar 2018 -
Si les mots avaient des ailes

la boîte à mots fait une pause jusqu’à l’été prochain !

La boîte à mots, le jeu : février 2018

mar 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de février 2018 :  bible, chiner, amour


voir les règles du jeu ici


Voici les textes que nous avons reçus :



Souvenirs (Caroline)

J’ai retrouvé, l’autre jour, coincée, entre les livres de ma « bibliothèque » la bible que mon pasteur m’avait offerte pour consacrer ma communion. Communion que j’avais faite surtout pour revêtir une jolie robe blanche assortie d’un voile vaporeux.
Lors des petites processions (j’allais dire défilés) des fillettes, j’y ai vu des œuvres d’art , car certaines mamans faisaient rivaliser d’élégance leur enfant !
Je me souviens, rétrospectivement de la finesse des multiples petits « plis religieuse » et des cols garnis de fronces légèrement amidonnées pour garder leur gonflant neigeux.
Les garçons  eux  arboraient leur premier petit costumes « d’ homme » mais orné d’une sobre aumônière à franges.
Peut être, en chinant, lors d ‘un vide grenier ,aurais je la chance de trouver une de ces robes en organdis défraichi conservée avec amour par une grand mère aujourd’hui décédée !
Ouvrir cette petite bible au papier si fin que lorsque l’on tourne les pages on croirait froisser de la soie m’a fait (pour un instant émouvant) replonger dans mon enfance !


AU MARCHE GEORGES BRASSENS (ELENI)
« Bible » ! Par excellence le mot hors quotidien ! Celui qui se démarque, comme dans le jeu des différences. Son emploi reste parcimonieux. Un halo flotte autour de lui comme pour porter au respect. Il s’annonce dans la conversation avec un verbe plus haut et élogieux : « Non franchement tu verras, c’est LE fin du fin, L’incontournable, LA référence, LA bible. Si tu n’achètes qu’un livre, c’est celui-là. »
Lorsqu’il s’agit des Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament, on touche au sacré et le terme est alors orné d’une majuscule : il devient « la Bible». Traditionnellement offerte à la première communion, force est de constater qu’elle est souvent remisée dans un coin. De nos jours en effet, qui prend le temps de se plonger dans la Bible ? Rares sont ceux qui en ont dévotement une en main et en pratiquent une lecture assidue. Ou alors des ersatz de Bible, des condensés du dimanche, avec la lecture du jour accompagnée des éclairages nécessaires, histoire de décrypter un peu plus facilement les enseignements censés en découler. Cela relève en effet d’un immense effort, d’une sorte de défi que de s’abstraite de notre quotidien trépidant pour faire une immersion dans ces sortes d’écrits, à moins d’être retiré dans un monastère ou tout autre lieu s’y prêtant d’avantage.
Alors, en dehors de la Sainte Bible et faute de temps, les hommes se sont inventé pour leur quotidien, des tas d’autres bibles : des condensés, des résumés, sur un sujet ou un autre, qui leur donnent l’impression d’être gagnants, en maîtrisant l’essentiel dudit domaine en seulement quelques heures de temps. Je ne fais pas exception à la règle et possède chez moi comme beaucoup de mes contemporains, certains spécimens représentatifs du genre : « Ma bible des huiles essentielles », « Comment démarrer son potager en vingt leçons », « Condensé du taxidermiste débutant » ou encore « le B-A BA du petit bricolage ».
Je broyais plutôt du noir cet après-midi-là. Ces dernières semaines avaient été ponctuées de disputes presque quotidiennes avec Christine. Elle me reprochait d’être fuyant, de moins m’impliquer dans notre couple qu’auparavant, de me soustraire à la discussion ; ce qui aurait permis disait-elle, d’y voir un peu plus clair dans notre vie à deux et de peut-être trouver des solutions. Cela faisait dix ans que nous étions mariés et notre amour n’était pas remis en cause mais il nous appartenait de négocier au mieux ce tournant délicat.
Je décidai pour me changer les idées d’aller dans le quinzième arrondissement de Paris, chiner au marché Georges Brassens du livre ancien et d’occasion. Comme pour fuir à nouveau la réalité, mon inconscient me dictait qu’il devait bien exister un livre qui me servirait la solution toute prête sur un plateau ! Je flânai un bon moment chez un bouquiniste spécialisé en bandes dessinées, ce qui était une bonne entrée en matière pour lâcher prise ! Puis je parcourut d’autres éventaires donnant plus dans la littérature et la fiction. Je poursuivis mes déambulations, feuilletai quelques très beaux livres d’art lorsque mon œil fut happé vers l’étalage voisin, par un titre négligemment fourré dans un cageot au sol : « Relancez votre couple », dans la collection « Pour les nuls ». Miracle ! Pourtant je possédais déjà à la maison, « La culture générale pour les nuls : vite et bien » mais n’avais juste pas eu l’idée de piocher dans cette série-là. J’empoignai aussitôt le précieux livre et m’empressai de payer : deux euros. Mon couple valait largement ce prix-là ! Je rentrai chez moi en hâte, anxieux. Le spécimen renfermait-il vraiment de quoi concocter un nouvel élixir d’amour à deux ? Le fait qu’il ait atterri au milieu des autres rebuts d’une ancienne caisse à légumes n’était au fond pas du meilleur présage quant à ses pouvoirs de régénération du couple … il n’existait d’ailleurs peut-être pas de bibles pour tout … Sinon, je me promettais de mettre enfin mon nez dans La Bible, la vraie. Avec cet Adam et cette Eve, je devrais bien trouver des pistes. C’est comme si j’entendais déjà Christine me dire : «Mais mon pauvre ami, regarde-toi ! Elle est là ta solution.»


La joie prolonge la vie (Corinne P.)
Mon grand-père répète souvent : « Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ». Sa stature de géant, ses cheveux blancs, sa barbe hirsute et ses yeux bleus pétillants qui illuminent son visage, le rendent irrésistible. C’est vrai que c’est un homme généreux, toujours prêt à rendre service et à tendre la main aux amis et voisins.
Mais c’est aussi un homme malicieux qui a ses petits secrets et quand sa femme, l’interroge sur ses sorties avec ses bons copains, il réplique toujours : « Un homme qui se tait, est un homme prudent ». Toutes ces formules agacent un peu ma grand-mère bien sûr, mais elle raffole de son sens de la répartie qu’il puise dans sa bible, toujours à portée de main sur sa table de nuit.
Ils sont mariés depuis bientôt cinquante ans et l’amour des voyages a jalonné toute leur longue existence. Les trésors chinés aux quatre coins du monde envahissent leur maison. C’est une vraie caverne d’Ali Baba que nous explorons avec bonheur, mes cousins et moi lors des repas de famille. Leur bonheur à eux, c’est de nous voir curieux de tout et plein de vie. C’est pour cela qu’ils nous répètent à chaque fois que nous sommes réunis : « La joie prolonge la vie ».


LA CONTREPARTIE (Martine)

– Dieu n’est qu’amour ! déclame le prêtre devant l’autel.
– Pff ! songe Mariane. Il faudrait déjà qu’il existe !
Elle jette furtivement un œil à Pauline sur sa droite. Son amie écoute pieusement le messager de Dieu, sa bible religieusement ouverte sur ses genoux.
– Quelle idée j’ai eu de l’accompagner ! soupire-t-elle.
La messe dominicale terminée, les deux amies quittent le parvis de l’église et s’éclipsent vers leur voiture.
– Tu vois, ce n’était pas si sorcier de m’accompagner à l’office ce matin, lance Pauline un brin ironique.
– Ne te méprends pas ! Je t’ai juste accompagnée pour te faire plaisir un point c’est tout ! Ne compte pas sur moi dimanche prochain.
Pauline sourit. Elle n’arrivera définitivement pas à convertir Mariane à la religion ! Arrivées près de leur voiture, elles découvrent un flyer sur le pare-brise.

« SAINT PÈRE MARC-EN-POULET
BROCANTE DE PRINTEMPS
DIMANCHE 1ER AVRIL
Venez nombreux»

Aussitôt les yeux de Mariane pétillent. Dans un élan, elle se retourne vers Pauline:
– Ça te dit de venir chiner avec moi ? Je recherche un vieux moulin à café depuis un moment pour enrichir ma collection.
– Bof ! Les vieilleries, tu sais ce n’est pas mon truc ! Je veux bien faire un effort si tu m’assures que nous serons rentrées pour mon feuilleton tout à l’heure à la télévision.
– T’inquiètes ! Tu le verras ton feuilleton, ironise Mariane. Allez ma Pauline ! En voiture.


L’Amour, plus fort (Patrice)

C’est fou c’que ça fait du bien !
Je veux dire de penser à rien, ou si, à l’Amour,
L’Amour que l’on a fait sans compter, rien,
Et qui nous brasse vers l’Infini, ou les tours…

Ces tours, où tu m’as mis KO,
A trop vouloir mes mouvements du dos,
Comme des va-et-vient au plus profond de tes entrailles,
Comme des va-et-vient mugissent plus fort que des rails.

J’ai beau aimer ce son que tu fais,
Lorsque je découvre tes passions démesurées :
C’est comme au beau milieu d’un miroir et des fées,
Qui enchanteraient ce toit, qui nous couvre, mesuré…

Et que j’aime chiner ou déchainer tes cuisses,
Elles sont le reflet de ta peau, dans laquelle tu luis,
Et pour m’éclabousser de tourments, je suis sans parapluie,
Tu m’exhibes au vent, ça me rend fou, mes sens bleuissent.

« Quand on a fait l’Amour, comme d’autres font la guerre »
J’ai comme des envies de toujours partager, naguère :
Naguère, qu’est-ce qui était mieux ?
Je m’étonne, devenir pieux…

Mais c’est dans cette âme, par trop bouleversée,
Par cette machinerie, liens indéfectibles, qu’est la vie ;
Que je me suis complu à vivre de versets
Solidement déversés
Et que tes trésors enfuis dans la pénombre de l’envie,
N’ont pas su ralentir tous mes appétits…

Je t’ai fait l’Amour, oui tu criais plus fort,
Que de tous mes mouvements, seul celui de mes reins,
Te faisait oublier ta venue et que j’étais comme ce château fort,
Que l’on accable d’assaut mais qui sort, en son sein :
La Victoire, le Génie…
Nous étions des âmes trop seules et manquant de penny…

Maintenant que seule la lecture de la Bible,
Me plonge au tréfond de ton cœur,
Maintenant que mêmes tes pleurs me sont plus pénibles,
J’aimerais que ce poème te rende le bonheur…

Le bonheur de milliers de sentiments, qui me viennent,
Pour exprimer que près de toi c’était sans cesse La Vienne :
Comme un fleuve qui ne tarit jamais, tu enivres mes baisers,
Comme un fleuve qui jamais ne tarit, tu rendais tout aisé…

Tu étais facile et mon plaisir docile,
Tu me faisais plaisir et je riais, mes cils,
Mes cils étaient peints de bienfaisance
Et mendiaient les chemins de mon aisance ;

Cette aisance quand je récitais La Bible, le Christianisme
C’était mon seul moyen de chiner tes pensées,
D’y dénicher tes pourtours dépensés,
Par tant de mouvements qui se fondaient dans ton prisme.

Ton amour me tue, me terrifie,
J’étais enjoué par tant de lyrisme, ta peau,
Et que m’apportes-tu, tout au creux d’un troupeau ?
Tes cris qui me torturaient comme de la hifi…

J’avais envie de tes sons, étouffés,
Comme tu mangeais mon cou, déchiqueté,
Tu sentais bon : la mer, la terre, toute bouffée
Et comme je riais, dans tes yeux, étiquetés…

Tu me faisais voir les chemins que j’aspirais,
Sans oser les comprendre,
Tu me faisais voir ces chemins que je respirais,
Sans plus me méprendre,
Et j’étais pris par tes vices insensés :
Tu me brûlais l’orifice, encensé ;

C’était comme une litanie, une prière exaucée,
Je sentais mes réflexes abrutis, comme réhaussés,
Et nul n’aimait plus que moi, ton regard bleu,
Il était plus profond, que dans l’ensemble des cieux,
Et ça m’animait encore et encore,
Pour te faire l’Amour, plus fort, plus fort…


Coïncidence (Colette)

« J’adore les quais de la Seine, la mine sereine des petits marchands… » qu’interprétait Lucienne Delyne en 1949. Depuis toujours, moi aussi, j’aime flâner auprès des petits bouquinistes vendant tant de trésors cachés. Mais il faut savoir chercher et découvrir la pièce rare qui manque à une collection.
Chiner, chiner encore dans les invendus de livres, gravures, timbres, pièces de monnaie, cartes postales… Fouiller dans les éventaires posés sur le mur du parapet où nombres de petits objets ont été cédés pour quelques piécettes en attendant d’être revendus.
Cet après midi de printemps, je me suis promenée dans les Jardins du Luxembourg, l’air embaumait le parfum des fleurs. Maintenant je descends le boulevard Saint Michel. Je fais une halte à la fontaine, puis je me rend Quai Saint Michel.
Assis sur des pliants, fumant leur pipe, les vendeurs attendent tranquillement le passant qui viendra fouiller dans ses articles et qui probablement repartira sans rien acheter. Qu’importe le prochain peut-être trouvera son bonheur.
Je ne cherche rien de précis, mais je m’arrête plus longuement sur les livres. Un roman peut-être…
Mon regard est attiré sur la brochure de l’un d’eux il est relié de cuir. Je le dégage et m’aperçois que c’est une bible ancienne. C’est étrange elle me rappelle quelque chose, mais je n’arrive à savoir quoi ! Je l’ouvre et feuillette quelques pages. Là surprise, je trouve une enveloppe contenant une lettre. L’enveloppe est maculée de taches sombres. J’hésite, mais curieuse je finis par ouvrir ce courrier.Il est daté du 15 avril 1917. C’est la lettre d’un combattant sur le front de Verdun :
Ma douce Marguerite
Je viens d’apprendre que dans quelques jours nous allons avoir une permission. Je suis impatient de te serrer dans mes bras ainsi que notre petit Paul que je ne connais pas. Ici c’est l’enfer, chaque attaque est une hécatombe, chacun de nous se demande « a qui le tour la prochaine fois ». La lecture de tes lettres me donne le courage d’affronter ce cahot. Demain sous les ordres du général Nivelle nous monterons à l’assaut pour une énième fois au Chemin des Dames. Je garde cette lettre sur mon cœur et te l’enverrai à mon retour dans la tranchée près de Craonne. Mon amour adoré et toi petit Paul, je vous embrasse tendrement.
Ton Adrien.
Je retourne l’enveloppe pour lire le destinataire et l’adresse :
Madame Marguerite Lacroix
20 rue Rochechouard
Paris 9ème arrondissement
Quelle coïncidence car je suis une demoiselle Lacroix. Ma grand-mère s’appelait Marguerite, mon père Paul et le grand-père que je n’ai pas connu Adrien. Ce pourrai-il que ce soit la dernière lettre que mamie a reçu après que mon grand-père soit tombé au Champs d’Honneur le 16 avril 1914 à Verdun.
Alors et les taches sur l’enveloppe ?

 



Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


La boîte à mots, le jeu : janvier 2018

fév 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de janvier 2018 :  savourer, seul(e), objectivité


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Voici les textes que nous avons reçus :


Lettre à un amant déchu (Laëtitia LIMERY)

A vous,
C’était un jeu troublant et excitant d’assister à ce dîner dans votre demeure avec cette foule d’ami, je reconnaissais là votre espièglerie.
Mais je ne me doutais pas que cette comédie était un piège pour vous afficher avec moi et exposer ainsi le secret de notre liaison.
Je vous ai vu m’observer sans retenue d’un regard ardent, vous avez savouré mon trouble, vous vous êtes délecté de ma pudeur.
A aucun moment, vous n’avez essayé de me voir seule, pour tenter une ébauche d’explication. Non, votre ambition était de m’obliger à dévoiler notre couple, même si vous saviez me mettre en danger envers ma famille, d’où mon départ précipité.

Lorsque vous lirez ses mots, la colère a fait place à la peur et l’objectivité de ma pensée est confuse, mes doux souvenirs se sont enfuis, remplacés par l’ombre sombre de vos yeux. Il ne me reste que du dégoût suite à cette horrible soirée, je préfère donc vous quitter car je n’ai plus confiance en vous.
C.


Solitude choisie (Caroline)

En toute objectivité, j’avoue, j’aime être seule, parfois.
J’aime rêver, savourer le temps pour penser à ceux que j’aime et qui ‘sont’ ma vie.
Laisser ma tête s’aventurer au hasard d’une image ou d’un souvenir.
J’aime être seule pour chanter…très fort, évacuer une émotion.
J’aime être seule pour me plonger dans la foule des grands magasins les jours de soldes, et rapporter le ‘truc’ indispensable! …qui restera dans un placard.
J’aime être seule, blottie dans un fauteuil, à la campagne, avec un bon livre dont je relis quelques passages pour mieux les savourer alors qu’à la fenêtre la bourrasque fait frapper au carreau les jolies petites roses d’un grimpant.
Il y a bien sûr des solitudes douloureuses, j’en ai connu aussi, attendant la sonnerie d’un téléphone muet.
Mais j’ai emmagasiné dans mon cœur tant de jolis moments de vie et d’amour que la solitude ne me fait pas peur.
Cette solitude j’en ai besoin ! Je ne la vois ni grise ni triste ni effrayante mais comme une parenthèse et un refuge nécessaire qui embellie la réalité matérielle de la vie courante.


L’HEURE DU BILAN (Martine Ponthieu)

Les fêtes de fin d’année terminées, les enfants sont repartis…
Recroquevillée au creux de son canapé, Clothilde se sent seule. Alors qu’elle sirote une tasse de chocolat chaud, le silence assourdissant de la pièce l’effraye. Un voile de brume assombrit ses yeux clairs.
Pourquoi cette tristesse ? Arrivée au crépuscule de sa vie, c’est en toute objectivité qu’elle retrace mentalement le bilan de son existence.
Femme libérée dans les années soixante dix, elle avait décidé d’élever seule ses deux enfants en menant, en parallèle, une carrière professionnelle enrichissante. Elle pensait avoir réalisé sa mission jusqu’à cet instant…Alors ? Pourquoi ce spleen ?
D’habitude, une fois les enfants repartis, Clothilde est heureuse de savourer sa tranquillité en s’enroulant lascivement dans son plaid douillet. Elle se sert un verre d’un bon bordeaux et se plonge dans la lecture du dernier livre acheté pour le dévorer jusque tard dans la nuit.
Pas aujourd’hui ! Le chagrin s’est invité. Des sanglots nouent sa gorge et des perles d’eau salée s’écoulent le long de ses joues émaciées. Ah ! Si elle avait été moins féministe, si elle avait accepté un compagnon, un père pour ses deux garçons… elle ne ruminerait pas sa solitude, seule dans sa grande bâtisse, aujourd’hui !
Le téléphone résonne. Elle se lève, décroche l’appareil et entend la voix joyeuse de Victor :
–    Allo Maman ! Nous sommes bien rentrés. Je viens de déposer Basile devant chez lui. Merci encore pour ce chouette Noël. Nous avons décidé de revenir te voir le week-end prochain. Tu es d’accord ?
Bien évidemment qu’elle est d’accord ! Aussitôt, un halo optimiste illumine son visage, ses larmes se tarissent, sa peine disparait et son tempérament jovial reprend le dessus. La vie reprend son cours…

 


Le discours (Colette)
Monsieur le Comte de Lademimollette a été élu maire, pratiquement à l’unanimité par les habitants de Versois, charmant village niché au creux d’un vallon verdoyant.
Il tiendrai sa petite noblesse de par sa mère, descendante d’une des favorite de Louis XIV. Cette dernière en donnant un fils au roi aurait reçu les terres et le domaine de la Faisanderie ainsi que le bourg de Versois avec le titre de comtesse.
Mais depuis quelque temps les Versoisiens ont constaté que monsieur le maire ne tenait pas ses promesses de campagne qui avaient incité beaucoup d’électeurs à votés pour lui. En effet, non seulement, il prend toutes les décisions mais oblige le conseil municipal, à les accepter. Ces derniers d’ailleurs pour la plupart sont des familiers qui lui doivent leur siège à la mairie.En fait il se conduit comme un seigneur féodal.
Seul dans son bureau, il répète le discours qu’il va dire tout à l’heure aux villageois  et savoure d’avance de voir la tête ahurie de l’assemblée à ses énoncés.
Ajustant son écharpe, se raclant la gorge, il se dirige vers la porte pour se rendre à la salle des fêtes où sont réunis et l’attendent les versoisiens.

Mes chers concitoyens.
Après délibération avec le conseil municipal et en toute objectivité nous avons décidé que :
1° – cette année, il n’y aura pas de fête pour le 14 juillet. Pas d’orchestre, pas de bal, pas de banderoles, pas de lampions, pas de défilé.
2° – le clocher de l’église qui menace de s’effondrer dès que l’on sonne les cloches, ne sera pas réparé, mais étayé.
3° – le pont qui devait enjambé la rivière permettant un raccourci du village à la gare ferroviaire restera à l’état de projet et sa construction à une date ultérieure.
4° – les locaux de l’école ne seront pas repeints, ni la façade rénovée.Chaque classe cet l’hiver aura un ancien poêle à bois en remplacement du chauffage central dont la chaudière défectueuse est mise hors service jusqu’à l’année prochaine. Les parents devront fournir le bois.
Des économies ainsi effectuées vont pouvoir servir à un proget qui me tient à cœur depuis longtemps, celui de permettre l’inauguration, sur la place de la mairie, d’ une statue équestre, pour la postérité, d’un illustre personnage « Moi » !



Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


 

 

La boîte à mots, le jeu : décembre 2017

jan 2018 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de décembre 2017 :  RÊVE – ÉTOILE – SOYEUX


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Voici les textes que nous avons reçus :



CONTE POUR ENFANTS SAGES (Martine Ponthieu)

Recroquevillée dans le froid céleste, une petite étoile regarde les comètes filer à toute allure en froufroutant dans la nuit.
Soudain, l’une d’entre elles la frôle si près que la petite étoile songe un instant qu’elle l’a percutée. Mais non ! Elle s’était assoupie. Ce n’était qu’un mauvais rêve.
Brusquement, un chatouillis soyeux sur l’une de ses pointes la fait éternuer. Elle aperçoit alors une minuscule forme translucide qui lisse soigneusement deux ailes posées sur ses épaules.
– Qui es-tu ? demande la petite étoile.
– Je suis une fée qui s’est égarée.
La petite étoile est surprise. Les fées existent donc vraiment !
C’est alors que surgit la Grande Ourse. Fronçant des sourcils, elle s’exclame :
– Encore toi petite fée indisciplinée ! Quand cesseras-tu de vagabonder. C’est la deuxième fois que tu te perds cette semaine ! Je vais être obligée de prévenir le Conseil Supérieur des Fées.
Penaude, la petite fée murmure :
– C’est parce que je recherche la maison du Père Noël pour lui demander de ne pas oublier un petit garçon qui habite au fond de la forêt dans une vieille cabane.
Attendrie par la petite Fée, La Grande Ourse se radoucit et répond :
– Bon ! Je ne dirai rien cette fois-ci. Dépêches toi de retrouver tes amies qui viennent de passer mon grand chariot. Tant qu’au petit garçon au fond de la forêt je suis certaine que les lutins du Père Noël l’ont inscrit sur leur liste. Il ne sera pas oublié sois tranquille.
Rassurée, la Petite Fée bat des ailes puis s’envole vers son destin alors que la petite étoile regarde, à nouveau, les comètes filer à toute allure en froufroutant dans la nuit.

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La crème antirides (Susan Clot)

Elle : Tu n’as pas vu ma crème antirides? Ca m’agace. Je l’ai laissée exprès sur la paillasse hier, et maintenant elle n’y est plus. J’ai l’impression de devenir sénile.
Lui : C’est connu : quand la peau se ride, le cerveau devient lisse. C’est normal après cinquante ans.
Elle : Je n’ai pas encore cinquante ans.
Lui : Justement, ça promet. Pour ta crème, si tu parles de ce tube ratatiné marqué « Rêve Etoilé », c’est moi qui l’ai pris pour lubrifier la penne de la porte de la salle de bains. J’ai terminé le tube, alors je l’ai mis à la poubelle.
Elle : Quoi ? Ce truc a coûté une fortune. J’en avais spécialement besoin aujourd’hui car j’ai rendez-vous avec Elodie, ma copine de lycée, celle qui a la peau tellement soyeuse qu’elle fait vingt ans de moins que moi. Il faut que j’aie l’air jeune et éblouissant. Tu t’es servi de ma crème, sans me demander…comme ça ?! Mais ce n’est pas vrai ! Et la scène que tu m’as faite quand j’ai pris juste un tout petit bout de ton sparadrap spécial randonné pour le mettre sur mon ongle qui me faisait si mal.
Lui : Oui, mais tu as mal fermé la boite et tout le rouleau s’est desséché.
Elle: Je n’ai quand même pas jeté la boite à la poubelle !
Lui : Tu aurais pu. Mais ça aurait été un délit : destruction de pièces à conviction. Tu aurais été en prison.
Elle: Je t’aurais dit qu’à cinquante ans tout le monde devient sénile et que tu avais terminé ton sparadrap depuis belle lurette, voilà. Et puis toi, tu t’es bien débarrassé de mon tube.
Lui : Tu as raison. Tu devrais embaucher un avocat.
Elle: Et puis le sparadrap ça peut se partager, mais la crème, c’est personnelle. Tu n’as qu’à utiliser ma brosse à dent, ou mon baume aux lèvres pendant que tu y es.
Lui: Oui, c’est ça. La prochaine fois que la penne de la porte se coince je vais y appliquer ton baume aux lèvres avec ta brosse à dents. Je n’y aurais pas pensé.

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Ténèbres (Corinne P)

Je ferme les yeux,
Il surgit.
Il revient chaque matin,
Il revient chaque nuit.
Toujours le même décor,
Une noirceur sans étoile, une opacité sans lune.
Absorbé par les ténèbres, le train disparait.
Seule, abandonnée sur le quai désert,
Accablée, je pleure.
Je pleure tellement,
Je chancelle.
Dans mes mains son écharpe bleue,
Cachemire soyeux parfumé d’instants heureux.
J’y plonge mon visage.
J’inhale, désespérée l’essence d’une autre vie.
Je tombe.
Il ne reviendra plus.
Pour toujours, il est parti.
C’est fini.

Pourtant chaque jour,
Et aussi, chaque nuit,
Ce rêve me ramène près de lui,
Vers cet instant brulant où il dépose sur ma joue,
Le souffle de l’adieu.
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Le moment de mes rêves ( Patrice )

Il est venu un moment, lorsque je m’évadais pour des rêves où le semblable n’avait pas son pareil, et que j’économisais les bougies qui me servaient de cierge, car je priais fort le seigneur pour qu’il me vît dans la détresse et ait pitié de moi, où mes yeux ne distinguaient plus le faux du vrai.
J’étais immergé dans des songes de réussites alors que je vivais de ce que voulaient bien me donner les gens lorsque je faisais le trottoir. Il m’arrivait de vouloir pleurer mais c’était trop facile, je veux dire que les mots me manquaient pour exprimer tout mon désarroi, alors je regardais le ciel, la nuit, je regardais les étoiles et notamment : Pégase, qui me fascinait, elle qui brillait sans cesse, moi qui restait plus sombre qu’une toile de Léonard De Vinci…
Et puis un jour je rencontrais ma moitié, enfin celle qui a fait un bout de chemin avec moi.
Elle était maigre, les cheveux noirs et il lui manquait une dent au milieu de son sourire. Elle était comme moi : ne sachant où aller… Ses parents étaient décédés il y avait sept ans de cela et les huissiers ont saisi ce que le père avait laissé comme dettes de jeu, alors elle se retrouva vite en foyer… Elle était plus jeune que moi, mais on se réchauffait, on s’était trouvé, elle me faisait penser à une bohémienne et lorsqu’on faisait l’Amour, on oubliait tout, le temps n’avait plus d’espace, on se vidait de cette saleté de vie…
Et puis, un beau jour, elle me quitta mais avait laissé un billet de 500 €…
Je m’empressais de m’acheter quelques habits, de bien manger et de trouver du travail. Il ne me fallait pas plus de deux jours pour trouver un poste de plongeur dans un restaurant Courtepaille.
Au départ je m’étais mis à proximité, dans un fossé, avec des cartons pour me protéger du froid, et comme il y avait des douches au restaurant, j’en prenais une, très tôt le matin, pour qu’on ne me vît pas. En tout cas mes collègues…
Et puis je commençais à économiser pour me trouver un logement, j’avais pu signer un CDI au bout de six mois, ce qui faisait mes affaires, mais j’étais obligé de m’éloigner car les prix étaient de moins en moins chers, à mesure que mon lieu de travail disparaissait pour la campagne…
Un jour, que je me réveillais dans mes draps soyeux, je repensais à tout ça : à mon parcours pour enfin sortir la tête de l’eau… Et puis je rêvais, le nez plongé au creux de mon étoile : Pégase, elle qui m’avait soutenue, et… Je replongeais dans mon lit, des plus soyeux…

 


De profundis (Caroline)

Il était né en regardant l’étoile !
Et depuis il courait… pour l’attraper il courait…
Parfois il la frôlait, ça lui laissait un peu de poussière d’or au bout des doigts.
Son rêve c’était voler, s’évader, loin la haut, se poser sur les nuages…
A l’époque chaque week-end nous nous retrouvions entre copains, et Dieu que la fête était belle ! Pas très sérieuse mais nous étions jeunes !…
Après mille métiers et beaucoup de ténacité , il réussi à intégrer une école de l’air et fut embauché chez Brit air .
Je ne l’ai vu que rarement en uniforme avec les « guirlandes » comme il appelait les galons qui ornent les vestes et casquettes des aviateurs. Tout ce qu’il détestait !
C’était un être exceptionnel !
Ses envies et ses besoins étaient trop denses, ses désirs trop forts et sa fragilité à fleur de peau !
Le mélange était explosif assorti d’un sourire … soyeux … qui lui donnait ce charme lumineux qui ne laissait personne indifférent.
Il a bourlingué dans des endroits inconnus des touristes. L’Amérique du Sud, l’Inde, à pieds les mains dans les poches !… toujours plus loin …
La vie « filant » il s’était fait construire en montagne un chalet en rondins et laine de mouton. Pas de voisins et vue imprenable.
C’était son refuge .
Mais … devenir vieux … les petits projets … les habitudes … les petits plaisirs de l’âge … ne plus se révolter … abdiquer…
Ce n’était pas pour lui !
Il était « jeune » à vie !
Avec un éclair au bout de son fusil il est parti retrouver son étoile…
Bon voyage…

 


La lettre au Père Noël (Colette)

Cher Père Noël
Un jour, mon papa est parti pour faire un grand, grand voyage dans les étoiles. Maman m’a dit qu’il ne reviendra pas et c’est pour ça qu’elle est toujours triste. Pouvez-vous lui apporter un joli tissus soyeux pour qu’elle se fasse une belle robe? Je voudrais qu’elle soit de nouveau heureuse et qu’elle rit. Souvent je rêve de mon papa, il me manque. Avec votre traîneau dans le ciel, si vous le rencontrez, vous lui direz que je l’aime très fort et que je ne l’oublie pas.
Merci Jeannot



Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.


 

 

 

La boîte à mots, le jeu : novembre 2017

déc 2017 -
Si les mots avaient des ailes

Voici les 3 mots de novembre 2017 :  SYNCOPÉ – FLEUR – MILLEPATTE


voir les règles du jeu ici


 

Voici les textes que nous avons reçus :



Pas de danse (Corinne Parchantour)

Tout affolé, tout afféré
Le petit mille-pattes tripote ses pattes
Il en a tant qu’il faut du temps
Pour les chausser sans se tromper.
Il se fait beau pour son aimée
Sa petite fleur couleur d’été.
C’est au concert qu’ils doivent aller
Ils aiment tant ça se déhancher
Sur les chants syncopés
De l’alouette au matin dans le pré.
Mais il faut prendre garde à ses pieds
Quand un mille-pattes si bien chaussé
Se met à danser sur des rythmes chaloupés.


Le mille-pattes (Lyse M.)

Avant de quitter l’école, pour les congés de printemps, l’institutrice de Jean avait fait un petit exposé sur la biodiversité. Puis elle avait proposé aux élèves d’observer la nature et de prendre quelques notes pendant cette période.
Au deuxième jour de ses vacances, Jean était allongé dans l’herbe haute au fond du potager de Maurice. Maurice, c’est son grand-père, avec qui il partage une belle complicité, et si quelqu’un connaît bien la nature, c’est lui : jardinier depuis cinquante ans !
Du petit Jean, on ne voit que le sommet de sa casquette rouge. Immobile et silencieux, équipé d’une loupe super grossissante, comme il dit, il scrute fasciné, le microcosme qui s’étale sous son nez. Sur un petit carnet, il transcrit consciencieusement ses observations :
Jeudi 10 avril ,11 heures 30 :
Parmi tous les insectes, seul le mille-pattes escalade la tige d’une fleur de pissenlit. Tous les autres filent sans y prêter attention. L’ascension est difficile. La tige est longue et un peu molle. Elle oscille lentement.
Il se déplace lentement, la démarche syncopée, s’arrêtant à chaque instant. Il a sans doute peur de tomber, même avec toutes les pattes qu’il a pour se cramponner.
Un peu perplexe, Jean se redresse et continue d’écrire :
-Que va-t-il faire la haut ?
-Est-ce pour se réchauffer, attirés par le jaune lumineux de la fleur ?
-Est-ce pour respirer l’air frais ?
-Est-ce pour trouver sa nourriture ?
-Est-ce pour se protéger ?

C’est la voix puissante de Maurice qui le fait sortir de ses réflexions :
« Jean, tu rentres maintenant, c’est l’heure de déjeuner ! »
Tout sourire, Jean se précipite la maison, certain que son grand-père élucidera ce mystère en répondant à toutes ses questions.


Au parfum (Gg)

Chaque nuit, dans l’immensité étoilée de la brousse africaine, un millepatte égaré tourne, tourne jusqu’au prochain matin. La journée, il vaque à ses mille occupations, non pas l’une après l’autre, mais toutes à la fois, ne consacrant pas plus d’une patte à chacune d’entre elles. C’est ainsi que pour se laver les dents il utilise la deux cent soixante septième (patte bien entendu) tandis que pour remplir sa déclaration d’impôts il ne fait confiance qu’à la quarante-troisième. Et ainsi de suite, mais il serait fastidieux de faire la liste de tout ce qu’il est capable de mener à bien. A noter que cette capacité remarquable d’ubiquité maximum, sans faire de lui l’égal d’un Dieu, lui donne toutefois un avantage considérable sur notre pauvre humanité, surtout dans sa moitié mâle, la partie femelle montrant des dispositions naturelles nettement plus avancées dans ce domaine. Mais revenons à notre millepatte et interrogeons-nous sur l’égarement nocturne de notre myriapode. L’absence, ou plutôt la dispersion de la lumière en une infinité de points pourrait être une piste, mais des expériences récentes, menées par des chercheurs émérites a montré, sans aucune ambiguïté, que le millepatte ne possède que deux sens, l’odorat et le toucher. Alors, il faut se rendre à l’évidence. La chute énorme, durant la nuit, de la température dans les régions tropicales du continent africain provoque un effet paralysant sur l’exhalation des parfums floraux, remplissant notre millepatte de trouble au point, et c’est là un élément déterminant de notre démonstration, de lui faire adopter, à la tombée de la nuit, un rythme syncopé en se mettant à marcher l’amble. Imaginez un peu, cinq cent pattes à droite qui se lèvent en même temps suivies de cinq cent à gauche, il faut vraiment se tortiller pour réaliser cet exploit. Mais me direz-vous, pourquoi ne reste-telle pas tranquille à se reposer la nuit, cette créature extraordinaire. La réponse est à la fois attendrissante et banale. L’Amour. Oui l’Amour avec un A triple majuscule, l’Amour mille fois. Jadis, durant une fin de journée automnale, en revenant du supermarché des millepatte, il a croisé un miracle de mille parfums divins. Cela a éveillé en lui un sentiment magique au point que, sans relâche, il recherche la créature qui lui en est à l’origine. Une fleur à n’en pas douter, mais une fleur sublime qui possède au moins autant de charmes olfactifs que lui a de pattes.


L’étrange animal (Martine)

Le printemps s’éveille après un long sommeil. Un millepatte surgit d’une fleur flamboyante.
Encore syncopé par son hivernation, il s’étire lentement, se frotte les yeux mais est brutalement désorienté devant le nombre important de ses membres inférieurs.
–    Que m’arrive-t-il ? Pourquoi toutes ces pattes ?
Intrigué par son anatomie, il n’a pas entendu une pie moqueuse voltiger au-dessus de lui. Soudain, la diablesse l’interpelle :
–    Que tu es bizarre avec toutes tes pattes ! Dans quel ordre marches-tu lorsque tu te déplaces.
Froissé, le millepatte ignore la moqueuse et s’enroule au fond de sa corolle. Il replie ses nombreuses pattes, les unes après les autres, sous son frêle corps. Fatiguée d’attendre une réponse ne venant pas, la jacasseuse s’envole à tire d’aile pour trouver une nouvelle cible sur laquelle jeter son fiel.
De nouveau seul, le millepatte ose déplier ses pattes. Les rayons du soleil câlinent sa peau. Une douce torpeur l’envahit. Il se laisse aller à la sérénité du moment présent, bien installé dans le giron de son amie la rose. Qu’importe le nombre de ses pattes !


J’ai un caillou dans mon soulier… (Colette)

Ce matin monsieur  Millepatte a du mal à se réveiller. Ses yeux ne sont pas en face des trous , ses antennes entremêlées et surtout un mal de tête épouvantable. Maintenant il se souvient :
–    Oh ! La, la, quelle soirée ! Mais où ai-je bien pu mettre cette chaussure ?
–    Vous cherchez quelque chose ?
Lui demande monsieur Escargot qui passait près de chez lui.
–    Oui ! Je ne retrouve pas une de mes chaussure !
–    En rentrant hier soir vous les aviez toutes ?
–    Et bien, ma foi, je n’en sais trop rien ? Ce dont je me souviens, c’est que j’ai dîner sous le mûrier et pour revenir chez moi j’ai pris le « sentier des limaces ». Et, là, une rose m’a invité à venir passer la soirée avec elle. Je me suis enivre de son parfum au point d’en être un peu pompette. C’est en partant que je me suis rendu compte que j’avais un caillou dans un de mes soulier. Lequel ? Difficile à dire ! Alors je les ai tous retiré pour les secouer et c’est sûrement là que j’ai dû en dû en oublier un.
–    Vous vous rappelez sous quel rosier ?
–    Pas vraiment, mais je reconnaîtrais son parfum entre mille !
–    Alors qu’attendez-vous pour y retourner ?
D’un pas syncopé, monsieur Millepatte part à la recherche de sa chaussure. Au bout du chemin, il est stoppé par une nuée d’abeilles et de papillons. Il s’informe de la situation.
–    Regardez le jardin du presbytère dans quel état il se trouve, plus une fleur, plus une rose ! Nous allons tous mourir de faim !
–    Pourtant, mademoiselle Gertrude, la bonne du curé prend bien soin de ses massifs fleuris. Qui a bien pu faire un tel vandalisme ?
C’est alors qu’un gros bourdon poilu arrive à tire-d’aile et leur donne quelques explications :
–    Aujourd’hui, au village, c’est la fête des fleurs et un corso va défiler dans les rues. C’est pour décorer le char de la reine que mademoiselle Gertrude a coupé toutes les roses. Il va falloir attendre bien longtemps avant que d’autres n’écloses. Nous devons envisager d’aller dans les champs voisins butiner
Et d’un commun envol, tous s’éparpillent joyeusement.
–    Alors ! Et moi, comment je fais pour retrouver ma chaussure ?


Vérification (Caroline)

Aaaahhr… je baille… je baille… et je m’ennuie…
Le menton appuyé sur mes bras repliés , posés sur la planche de mon petit bureau d’écoliere je machouille la queue d’une fleur innocente et … je m’ennuie…
Il fait lourd et chaud…
Le temps s’écoule lentement…..longues minutes rythmées par le battement syncope du balancier de la vieille pendule , qui n’en peut plus de ses vieux rouages grippés … usés .
L’après-midi s’allonge … rien ne se passe … même ma fleur n’a plus de goût !
Soudain passe devant mes yeux éteints un millepatte ! Sorti de nulle part !
Alors toi ‘ mon gaillard ‘ tu vas me tirer de cet ennui léthargique dans lequel je m’enlise !
Emprisonné sous un verre à large bord , te voilà coincé !
Je vais enfin savoir si tu n’es qu’un ventard prétentieux ou si tu as réellement mille pattes !
Ne bouges pas , je compte !
Une patte …deux pattes ….trois pattes ……..quinze pattes …..trente huit pattes …….cent vingt-sept pattes …….deux ..cent quarananante ………..rr …..rr …..rr………….


Seul (Elisa M. Poggio)

Personne ne l’a surpris avant la tombée de la nuit. Seul il danse, sur un rythme syncopé. La piste de danse est la limite de son univers le temps d’une salsa. Rien ne le perturbe, ni vent, ni pluie, ni même les étoiles, à la lumière d’un autre temps. Au sommet de sa feuille, froissant la fleur du fracas de ses pas, le mille-patte tourbillonne. Il chasse la poussière. Il danse seul. »

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Le thé dansant (Susan)

Le thé dansant est l’événement du mois pour Odile et Raymonde, deux copines de longue date qui vivent dans le village d’Aulan depuis toujours. Elles étaient ensemble à la maternelle. Elles étaient ensemble au bord de la route nationale quand les soldats américains sont passés. Elles ont échangé leurs secrets, assisté à leurs mariages respectifs et aux naissances de leurs enfants : huit en tout, si l’on compte le fils d’Odile mort à la naissance. Leurs maris sont décédés à quelques années d’intervalle; celui de Raymonde dans un accident de tracteur, tué sur le coup. Celui d’Odile d’un cancer des poumons qui a duré longtemps. Les deux copines se sont toujours épaulées, et maintenant, à l’âge de 86 ans, elles se fréquentent toujours, parfois pour prendre le thé chez l’une ou chez l’autre, ou pour faire une petite balade autour du village, même si la démarche d’Odile est un peu branlante et les ralentit beaucoup. Raymonde a un beau jardin, entretenu par son fils. Elle adore les fleurs, surtout les roses, et en offre toujours des bouquets somptueux à Odile à la belle saison. Tout le petit habitat d’Odile s’embaume d’un parfum capiteux et sensuel qui remplace ponctuellement l’odeur habituelle de soupe au chou et de gâteau. C’est une belle amitié, et les deux copines sont conscientes du fait que leur vieillesse est paisible et sereine, entourée d’amis et de famille. Une fois par mois, le dimanche après midi, elles se rendent au centre culturel du village pour participer au thé dansant, afin de profiter de l’animation et retrouver d’autres « anciens ». Bien sûr l’ambiance y est parfois un peu bruyante mais en général la musique est douce et calme, sans les désagréables « boums, boums » et rythmes syncopés qu’affectionne la jeunesse. Raymonde s’offre parfois une petite tour de piste avec Germain pendant Odile rigole doucement dans son coin et lui fait des clins d’œil lorsque le couple passe près d’elle. Germain est un vieux de la vielle, bien plus âgé que les deux copines. Mais il est en pleine forme et toujours très séducteur. Dans sa jeunesse on l’avait surnommé «monsieur millepattes », ou « la pieuvre » à cause de son inclination à d’importuner les filles avec ses mains baladeuses. Actuellement il est plutôt inoffensif, et ses fameuses « pattes »sont percluses de rhumatismes. Vers 17 h les festivités se terminent et les deux copines rentrent chez elles, épuisées mais certaines de pouvoir nourrir le mois à venir de commérages et de rigolades.


Troutrou : voyage à Moscou (Eleni)

Ce matin-là, comme à son habitude Sprinter le millepatte est juché sur son poste d’observation : une énorme fleur de tournesol. Il aime à cancaner. Et de là-haut il guette tout ce qui se passe alentour, pour être informé le premier. Survient Troutrou, son amie la mite.

–    Eh ! Voici notre amie Troutrou de retour. Alors, ce voyage en Russie ?
–    Oh, figures-toi, j’ai voyagé en première classe, dans le pull cachemire de madame Bourdaloux !
–    Ah bon ? Madame Bourdaloux la boulangère ?
–    Comment, mais tu n’es pas au courant ? Moi et mes consœurs avons entièrement infesté leur stock de farine au fournil.
–    En effet cela aura échappé à mes oreilles pourtant le plus souvent si vigilantes.
–    Rends-toi compte, ils ont dû fermer boutique ! Vacances forcées, pour cause de désinsectisation totale. Un vrai carnage pour nous. Je dois être l’une des rares rescapées …
–    Tu as perdu de la famille ?
–    Oui, une cousine, enfin une lointaine cousine, mais tout de même !
–    Toutes mes condoléances ma chère Troutrou. J’ai maintenant moins le cœur à t’interviewer sur ce voyage.
–    Aller si, cela me changera les idées.
–    Comment c’était alors ?
–    Très froid et neigeux. En plus j’avais oublié mes moufles et mon écharpe alors je suis restée le plus possible au chaud, dans le pull cachemire de la boulangère. Mais j’ai pratiqué une petite ouverture dans les mailles, ce qui m’a permis de tout de même voir du pays.
–    Tu étais à la ville ou à la campagne ?
–    La campagne ? Penses-tu ! J’étais à Moscou, oui monsieur, Moscou, la capitale ! Avec son magnifique palais du Kremlin, ses églises aux bulbes dorés et les gens bien emmitouflés dans leur chapka en fourrure, marchant d’un bon pas pour braver le froid.
–    Tu t’es fait des connaissances ?
–    Tu ne crois pas si bien dire ! Madame Bourdaloux et son boulanger de mari se sont un soir rendus dans une taverne pour y voir un spectacle de danses typiques du pays. L’ambiance surchauffée du lieu lui a bien vite fait enlever le pull cachemire qui m’abritait.
–    Viens-en aux faits, je ne comprends rien.
–    J’y arrive. J’ai tout d’abord paniqué, comme tu peux t’en douter. Au cas où elle oubliait de récupérer son vêtement avant de partir, je me voyais déjà condamnée à finir mes jours en Russie. D’un autre côté, le stock moyen de vêtement en laine par habitant aurait pour moi écarté tout risque de mise au chômage. Bref, quelle n’a pas été ma surprise, de m’entendre interpellée dans un français assez approximatif, par une belle voix masculine venant de ma droite.
–    C’était qui ? Cesse de me faire lanterner !
–    Un superbe mâle mite.
–    Tu es sérieuse ?
–    Oui, comme je te le dis ! Mon pull cachemire s’était trouvé déposé près d’un col en zibeline d’où a surgi ce beau charmeur.
–    Il a l’air de t’avoir tapé dans l’œil dis-donc.
–    Tu penses : il portait des bottes en cuir noire, un pantalon bouffant resserré à la taille par une large ceinture brodée et un gilet en vison.
–    Et qu’est-ce qu’il a bien pu te dire dans son français approximatif ?
–    Il m’a dit : « Je connais pas vous mais une danse ? »
–    Et tu as accepté ?
–    On a qu’une vie, alors oui, j’ai accepté. Et maintenant, je sais danser le casatchok.
–    Tu ne m’apprendrais pas Troutrou ?

Et ni une ni deux, voici Sprinter notre millepatte qui descend de sa fleur de tournesol pour entamer au bras de son amie Troutrou la mite, une danse pour le moins syncopée. Car si celle-ci a, en pays soviétique, acquis la pratique, lui est au contraire grand débutant et toujours à contre-temps. Tous deux ne pouvant s’accorder, partent d’un grand fou-rire qui achève de dissocier les mille membres du pauvre Sprinter.


Un chaos syncopé (Patrice)

Dans un chaos syncopé
Elixir de malaise et chahuté
Je vois des remontrances que tu me fais
Finir en deuil, son sens et par une fée.

Je mendie les apôtres
Et que m’apportent les autres :
Fins gourmets de sentences buccales
Ils sont les rois dans leurs coquilles nuptiales,

Ils font et défont les âmes
Qui se livrent au prieuré du salut
Alors que des milliers de blâmes
A envier les livres non lus
Ont été froissés, sous le son des fleurs.

Une fleur qui par mittence sonne le glas,
De tous les repas auxquels on assistera
Pour faire une moitié de charme improvisé
Sous le soleil épanouit mais mordoré.

Peut-être ces temps-ci se sont aseptisés
Au fin fond d’une ambiance aqua fraîche
Nous pourrions nous démenés comme des flèches
Assis mais non pas colonisés,

Et c’est bien ma chance
Car j’ai du mal à m’imaginer en millepatte
Frôlant les murs de la désertification
Comme les gens font pour la décalcification
Et qui trouvent que les choses les épatent
Loin bien loin de toutes remontrances.

Car j’ai acquis la certitude
Que le long de toutes servitudes
Ne sert que les lointains problèmes
Qui font que nos joues sont blêmes.

Et puis la force de cette expertise
Qui vient du fond de la chance syncopée
En milliers de fractures qui se sont coupées
Au contact de cette furie qu’on attise,
Sonne le trauma d’orgueil
Qu’une fleur voudra éclaircir
Au milieu de briques de deuil
Et d’un millepatte couvert de cire.

Si j’enchante le foin
Et que viennent les paysans des confins
Il me faudra leur dire que la guerre
Est la plus proche à venir que naguère,
Et bien loin des fils d’Ariane
Qui viendront repeuplés les monts de l’ennui
Ouvertes et sans cesse diaphanes
Seront les hommes désunis.


 



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