Par Martine Ponthieu
Treize heures : Comme chaque jour, son vélo à la main IL sort de chez lui emmitouflé dans sa canadienne, son écharpe enroulée autour du cou, sa besace sur le dos contenant dans sa gamelle son repas du soir qu’elle lui a préparé.
IL enfourche sa bicyclette usagée, attache son casque bosselé sur sa tête puis se baisse pour attacher ses bas de pantalon avec des épingles à linge. Ainsi paré, IL se redresse puis s’élance sur la route tout en jetant un regard furtif à droite puis à gauche avant de tendre le bras pour tourner vers la résidence du Parc Montaigne.
IL pédale énergiquement vers la commune voisine où IL grimpera dans le train qui l’emmènera jusqu’à Meudon. Trop loin pour s’y rendre en vélo, IL arriverait en retard à l’usine et il n’est pas question de prendre le risque d’être ponctionné d’un quart d’heure ou plus sur son salaire mensuel ! De toute façon IL arrive toujours à l’heure, IL est l’exactitude même…
Prudent IL ne slalome que très rarement entre les voitures. A peine un petit doublement parfois pour arriver dans les temps à la gare de Saint Cyr-l’Ecole lorsque le feu tricolore de l’avenue de la République le stoppe au feu rouge.
Là IL se gare dans le parc à vélos, toujours la dernière place au fond à droite, retire son casque et ses épingles à linge qu’IL glisse méthodiquement dans son sac puis s’élance vers le quai où son train est déjà à l’approche.
Une fois assis, IL déplie son journal qu’il a pris la précaution de mettre dans son sac et l’ouvre directement à la page des courses hippiques. Durant le trajet IL étudie soigneusement les paris préconisés par les journalistes sportifs et réfléchit aux chevaux qu’IL va sélectionner pour faire son tiercé tout à l’heure au PMU lorsqu’IL prendra sa pause. De toute façon IL misera sur Yves Saint-Martin, son jockey fétiche quoi qu’il arrive ! Les voyageurs ne l’intéressent que très peu et IL ne prête aucune attention à leur bavardage.
« Meudon » annonce la voix dans le haut-parleur. IL range son quotidien dans son sac et se lève. Adossé à la paroi du wagon subitement IL pense « Mince j’ai encore oublié d’attacher mon vélo. Pourvu que je le retrouve ce soir sinon je serai obligé de rentrer à pied ». Cet oubli le tracasse : cela lui était déjà arrivé il y a à peine un mois et IL avait été contraint de faire à pied les cinq kilomètres séparant la gare de son domicile, sous la pluie battante et en pleine nuit de surcroît avant de retrouver deux jours plus tard sa bicyclette abîmée dans un taillis près du local à vélos.
Son front se plisse, ses yeux se ternissent, un rictus de contrariété déforme ses lèvres.
Le train s’est arrêté. En deux ou trois enjambées IL arrive à la sortie de la gare puis se dirige vers l’usine toute proche. Au loin, IL aperçoit l’équipe de l’après-midi qui est déjà en train de pointer à l’entrée de l’établissement. IL les rattrape, pointe à son tour, traverse la cour puis se fond dans le groupe en direction du vestiaire afin de revêtir son bleu de travail.
IL ne l’a pas choisi cette vie de monteur automobile mais en quittant la ferme familiale en Bretagne, il a bien fallut qu’IL trouve un travail à son arrivée en Ile-de-France.
Alors, lorsque Théo son frère aîné déjà installé en région parisienne depuis quelques années l’avait informé que l’usine Chausson recrutait du personnel pour travailler sur les presses, IL s’était aussitôt présenté au service du personnel.
«- Vos nom, prénom, date et lieu de naissance s’il vous plait Monsieur » lui avait demandé la secrétaire.
« – Yves Camus né le 25 janvier 1925 à Locarn dans les Côtes d’Armor » avait-t-il répondu.
IL avait eu la chance d’être embauché dès le lendemain de son entretien, IL s’en souvient comme si c’était hier !
L’après-midi se déroule comme les précédentes dans le bruit infernal des presses rugissantes et l’odeur âcre du cambouis.
Il est vingt deux heures trente. La nuit est arrivée. La sirène hurle dans le haut-parleur le signal du départ. Les presses s’arrêtent, les ateliers deviennent sombres et silencieux.
IL se faufile dans le vestiaire pour se changer puis se dirige vers la sortie afin d’attraper son train qui le ramènera à St Cyr-l’Ecole.
Tandis qu’un groupe d’ouvriers s’éloignent tranquillement en bavardant bruyamment et en blaguant, lui part seul de son côté en activant le pas pour ne pas rater son omnibus. IL n’aime pas discuter avec ses collègues en dehors de l’atelier même s’il a beaucoup de respect pour eux. IL est solitaire et préfère rentrer rapidement chez lui. Du reste ses collègues l’ont surnommé affectueusement « Nounours » !!!
IL pousse la porte du hall de la gare, descend l’escalier jusqu’au quai alors que le train pointe le bout de sa locomotive… Le voici à nouveau assis dans le wagon, IL sort son quotidien, l’ouvre à la page des pronostics hippiques par habitude mais surtout par passion pour les chevaux.
« Saint Cyr-L’Ecole » annonce la voix dans le haut-parleur.
IL descend du train et se dirige d’un pas rapide vers le parc à vélos. Soudain IL se rappelle qu’il ne l’avait pas attaché à son arrivée. La gorge nouée il accélère le pas espérant retrouver son vélo.
Il l’aperçoit au loin et se trouve aussitôt rassuré. Mais stupeur ! Là sous sa bécane, IL aperçoit une boule de poils noirs qui semble dormir. IL s’approche précautionnement, la boule de poils ne bouge pas. Le voici arrivé à l’arrière du vélo, la boule de poils daigne lever la tête et le regarde avec de grands yeux tristes.
« – Mais qu’est-ce que tu fais là ? Oust ! Fiches le camp » dit-il d’un ton bourru.
Seul un gémissement lui répond. En se penchant IL découvre un petit chien inoffensif. L’animal recroquevillé sur lui-même tremble de froid, paraît perdu.
IL tend la main, le petit chien lui lèche le bout des doigts. Un frémissement lui parcours la colonne vertébrale. Lui insensible habituellement aurait-il sa carapace qui se fendillerait devant ce petit animal ?
« – Allez va-t-en ! Rentres chez toi ».
Mais en guise de réponde le petit chien se relève et vient se pelotonner dans sa canadienne ouverte.
Interdit IL ne sait plus que faire. Il n’est pas dans ses habitudes de s’émouvoir.
Il fait froid, il fait nuit, IL est fatigué et aimerait bien rentrer chez lui. Plus personne ne circule dans les rues à cette heure tardive et lui est là, accroupi dans le parc à vélos, tenant dans ses bras un petit chien abandonné !
Sans plus réfléchir, IL se lève, cale le petit chien dans ca canadienne qu’IL referme promptement, saute sur son vélo sans prendre le temps de mettre son casque ni attacher ses bas de pantalon puis file en direction de Fontenay-le-Fleury où il lui tarde de retrouver la chaleur de son foyer avec son nouvel ami…
Tout en pédalant dans la nuit glaciale IL sourit et pense : « – Quelle surprise pour les enfants demain matin à leur réveil » alors qu’une oreille indisciplinée échappée de son manteau lui chatouille le cou en signe de gratitude.
Martine Ponthieu
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