Voici les 3 mots d’avril 2019 : rêver, fraternel, animation
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Voici les textes que nous avons reçus :
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La rencontre (Martine)
Hugo vit dans un petit village près de la forêt de Turini. L’enfant aime s’y promener et retrouver les animaux devenus ses fidèles amis au fil des années.
En cette belle matinée ensoleillée, il est allongé au pied d‘un mélèze en train de rêver lorsque, brusquement, ses paupières deviennent lourdes… mais lourdes ! Alors qu’il s’assoupit doucement, un bruissement près de lui l’incite à entrouvrir les yeux. Une biche aux yeux de velours apparaît.
Hugo lui adresse un petit signe de la main et se lève pour la rejoindre. C’est alors qu’un sifflotement inattendu effarouche l’animal qui s’enfuit à toutes jambes au travers de la clairière Un homme surgit vêtu d’une longue redingote et d’un chapeau haut de forme noir.
L’enfant le regarde et lui dit :
– Elle est partie ! Elle a eu peur de toi.
– Ne t’inquiète pas, elle reviendra, lui répond-il d’un ton fraternel. Mais que fais-tu ici tout seul ? Tu ne devrais pas t’éloigner ainsi de chez toi.
– Je ne risque rien, réplique Hugo. Je n’ai que des amis ici.
L’homme sourit puis s’assoit près de l’enfant. Il sort de sa besace une gourde qu’il vide d’un seul trait. En la remettant dans son sac, il sort, malicieusement, un petit Pierrot tout de blanc vêtu, sous les yeux émerveillés d’Hugo.
Intrigué, l’enfant demande :
– Pourquoi tu te promènes avec une marionnette ?
– Tu vois ce Pierrot est mon outil de travail. Grâce à lui je présente des spectacles et je ravis ainsi les enfants…mais aussi leurs parents.
– Tu veux bien me faire un spectacle, rien que pour moi ? implore Hugo.
– Si tu veux, répond l’homme en installant le pantin entre ses doigts.
Soudain, un terrible grondement emplit le ciel, suivit d’un déluge de pluie et grésil. Hugo se pelotonne près du tronc d’arbre alors que l’homme ouvre sa gabardine pour le protéger.
Ils restent ainsi plusieurs minutes, serrés l’un contre l’autre, avant que le ciel ne retrouve sa joie de vivre. Hugo lève les yeux vers l’homme. Ce dernier l’observe et lui dit :
– Trop tard pour le spectacle ! Je dois partir. Mais si tu veux, tu peux venir me voir demain en fin d’après-midi au village de la Bollène-Vésubie. Je ferai mon spectacle à dix-sept heures sur la place de la mairie.
Hugo est dépité mais déjà l’homme se lève, le salue puis s’éloigne sur le sentier.
Un pépiement au-dessus de sa tête interpelle l’enfant. Il ouvre un œil, puis l’autre et constate qu’il est allongé sur le sol sec près du mélèze. Pas de trace de la biche, ni de l’homme…Aurait-il rêvé ?
Au loin, retentissent les bruyantes animations du marché hebdomadaire installé sur la place de l’église. Hugo se lève, fait quelques pas puis se retourne au cas où l’homme au pantin réapparaîtrait. Mais personne ! Il est bel et bien seul…
L’étudiant (Colette Kirk)
C’est une partie de l’histoire que seuls les anciens connaissent pour l’avoir vécu.
– Alors ! C’était quand grand-père ?
– Ben ! Je ne me souviens pas exactement, mais à cette époque j’étais jeune, je devais avoir 18 ou 19 ans. J’avais quitté la ferme de mes parents, car depuis mon enfance, mon rêve était d’être médecin et de devenir ensuite académicien. Je croyais que « l’académie » était une maladie grave, aussi j’étais décidé à la combattre et de sauver l’humanité en l’éradiquant. Je me suis inscrit dans une école de médecine à Paris. Je ne sais plus laquelle d’ailleurs et pendant des mois j’ai suivi assidûment tous les cours. Je ne comprenais pas pourquoi les autres étudiants se moquaient de moi quand je leur disais quelle spécialité j’avais choisi.
– Ils devaient te prend pour un petit rigolo !
– Et je l’étais. Aussi lorsque je me suis enfin rendu compte que je « marchais à côté de mes pompes » j’étais tellement déçu et déprimé que j’ai voulu me jeter dans la Seine depuis le Pont Neuf. Heureusement que dans un élan fraternel les copains m’ont retenu. .
– Et après ?
– Comme on était tout un groupe et qu’on remontait le « Boulmiche » d’autres gars se sont joints à nous, puis d’autres encore et même des ouvriers qui réclamaient je ne sais plus quoi. On a même fait des barricades et on s’est affronté avec des CRS. Ah ! Là, je peux te dire, qu’il y avait de l’animation, Ça cognait de tous les côtés. Les pavés volaient dans tous les sens. Et vas-y que je te tape et vas-y que je te matraque Quelle ambiance !
– Et après ?
– Après je ne me souviens plus très bien, j’ai reçu un coup sur la tête et je me suis réveillé à l’hôpital. Depuis il m’arrive d’avoir des absences. Mais attends donc, je crois que oui ! C’est ça, ça me revient, c’était en 68 !
LA DESSINATRICE CROATE (François)
Elle m’a plu dès que je l’ai vue. Sur l’instant, j’eus la certitude qu’elle serait la mère de mes enfants. Il me serait impossible d’expliquer pourquoi. Certes, elle était jolie mais, au-delà de cela, il émanait d’elle de la grâce, du charme, de la douceur et de la bonté. Elle échangeait une conversation animée avec une autre fille brune, probablement une amie. J’ai immédiatement cherché à définir le pays d’où elles pouvaient venir, Grèce, Turquie, Bulgarie, Croatie, Serbie, Albanie. Elles ne pouvaient provenir que d’un pays bordé par la Méditerranée tant leurs cheveux étaient noirs et leur peau mate. Chacune avait un grand carton vert coincé entre les pieds. J’en conclus qu’il s’agissait d’artistes passionnées, à en juger par l’enthousiasme que révélait leur tête à tête. Je m’efforçai de ne pas trop la fixer malgré ma difficulté à détacher mon regard de ces deux jeunes femmes qui devaient avoir entre vingt-cinq et trente ans, comme moi.
Nous n’étions que tous les trois dans cette salle de classe dont une grande baie vitrée derrière moi donnait sur la rue. J’étais assis à une table tentant désespérément, depuis quelques minutes, de reprendre la rédaction de mon récit tant j’étais troublé.
Et puis, elle a tourné son visage vers moi. Elle n’était plus jolie, elle était belle, sublime. Elle m’adressa un sourire plein de grâce et de gentillesse. Un sourire ravissant que Leonard de Vinci n’aurait sans doute jamais su peindre. J’étais sous le charme et, surpris, j’ai craint de ne lui avoir renvoyé qu’un rictus terne et ridicule.
Pendant qu’elles continuaient leurs débats auxquels je ne comprenais rien, j’abandonnai mes aventures romanesques couchées sur papier pour rêver en survolant les chauds rivages des mers Egée et Adriatique.
Elles se sont embrassées, caressé la joue et ma belle est passée devant moi en m’adressant un joli geste de la main que, présomptueux, j’interprétai comme un au revoir, une invitation à une nouvelle rencontre. Elle ouvrit la baie vitrée.
Je tirai aussitôt ma chaise pour tenter de la retenir mais elle avait déjà disparu dans les petites rues pleines d’animation du quartier latin.
Il me fallait absolument savoir qui elle était, d’où elle venait, ce qu’elle faisait. Je me suis précipité vers la directrice de la bibliothèque qui trônait au bureau d’accueil.
Je devais faire preuve de beaucoup de ruse pour obtenir des informations sans éveiller les soupçons.
– Pardon madame, une jeune fille vient de quitter la salle 3 où j’étais en train d’écrire. Je crois qu’elle vient de temps en temps ici et elle m’a laissé un message auquel je voudrais répondre. Connaissez-vous son adresse ?
– Désolé, mon garçon. Les seules choses que je sache sur elle sont qu’elle suit des cours de dessin, qu’elle est croate et qu’elle habite dans un petit appartement près d’ici. J’ignore où exactement. Mais il est vrai qu’elle est une habituée des lieux.
– Merci, madame. Je reviendrai.
– Avec plaisir, à bientôt.
Elle ne croyait pas si bien dire. Je suis revenu le lendemain, le surlendemain sous prétexte de finir mon roman à peine ébauché. Le week-end me parut être une éternité. Je le passai à sa recherche en parcourant une bonne partie de l’arrondissement depuis la place Saint-Michel jusqu’au bas de la rue Mouffetard après avoir arpenté le boulevard Saint-Germain.
Le dimanche, en fin d’après-midi, place de la contrescarpe, me vint alors une idée que, sans modestie, je jugeai lumineuse : apprendre sa langue.
Fier de moi, je rentrai dans mon studio de la rue Monsieur le Prince et consultai aussitôt internet en quête d’une adresse de cours privés qui, si je la retrouvais un jour, me permettraient de communiquer avec elle.
Je trouvai rapidement ce que je cherchais. C’était près de l’Odéon, à une portée d’arbalète de mon appartement. Je m’inscrivis aussitôt pour des leçons qui allaient commencer dix jours plus tard.
Je profitai de cette semaine pour retourner quotidiennement à la bibliothèque. J’y restais du matin jusqu’au début de soirée. Quelle déception et quelle tristesse !, elle ne franchit jamais le seuil de la porte.
Mais, je m’obstinai.
Les cours commencèrent et j’avoue que j’ai souffert au début. C’est une langue tellement différente de la nôtre, surtout le mouvement des lèvres.
Un mois passa. Grâce à ma volonté et un immense espoir, je progressai assez rapidement, d’après les dires de mon professeur. Nous étions une dizaine à partager son enseignement. Avec des motivations différentes, de tous âges, nous avions tous le désir de réussir ce qui était pour certains une nécessité et pour moi un plaisir qui, toutefois, me procurait beaucoup de frustration.
C’était devenu une sorte de rituel. Tous les jours, je passais devant la baie vitrée de la salle 3 et, peu à peu, le furtif coup d’œil que je jetais à l’intérieur traduisait ma résignation croissante à ne plus jamais la revoir.
Je continuai à suivre les cours de cette langue imprononçable. Au terme de deux mois de travail intense, je me rendis compte que je commençais à la maîtriser suffisamment pour tenir une conversation simple. J’en tirai une inutile fierté.
Un peu désespéré, je passai à nouveau devant la salle 3 de la bibliothèque et tournai la tête vers la droite comme un automate.
Mon Dieu ! Ma ténacité était enfin récompensée.
Elle était là penchée sur des feuilles de dessin, la main appliquée à illustrer un paysage de ville fortifiée en bord de mer.
Je ne sais si j’ai souri ou pleuré, sans doute les deux.
La baie était fermée de l’intérieur.
Alors, j’ai fait quelques mouvements de bras, j’ai sautillé tel un gosse pour attirer son attention.
Le soleil derrière moi m’a considérablement aidé en projetant mon ombre agitée sur le sol devant elle.
Elle se tourna vers la fenêtre et, gênée par la lumière, elle plissa ses beaux yeux verts qu’elle écarquilla aussitôt avec un magnifique sourire qui me parut traduire une joie sincère.
D’un geste de la main, elle m’invita à la rejoindre. Mon bonheur dut se lire sur mon visage car elle m’exhorta à plus de rapidité.
Dès que je suis entré dans la salle, elle se leva et se dirigea vers moi pour m’enlacer chaleureusement. Je la serrai dans mes bras en cherchant, en même temps, à lui transmettre mon bonheur de la revoir et à marquer une convenable retenue. Aussi, mon étreinte fut presque fraternelle.
D’un geste gracieux, elle m’invita à m’asseoir près d’elle et me montra ce qu’elle esquissait de sa ville natale. Je reconnus rapidement la citadelle de Dubrovnik que j’avais souvent visitée sur Google Earth pendant toutes ces semaines où je m’étais nourri de la culture de son pays.
Elle posa son crayon et s’adressa à moi dans sa langue. Je réussis à comprendre que c’était un projet important pour elle commandé par l’ambassade de Croatie. Je l’en félicitai par de vifs applaudissements.
Et puis, nous nous sommes présentés. Ana, Martin.
Nous avons échangé longuement sans souci de l’heure. Je m’efforçai de pratiquer au mieux pour la première fois ce que j’avais appris mais, parfois, à son large sourire amusé, je me rendais compte que je commettais des fautes.
Gentiment, elle me corrigeait. Elle s’exprimait lentement.
Lorsque, à la demande de la directrice, nous avons dû quitter les lieux, sur le trottoir, je lui ai pris la main. Je n’ai même pas réfléchi, c’était une évidence.
Non seulement, elle accepta mon geste mais encore elle serra la mienne avec beaucoup de tendresse.
Voilà, tout cela s’est passé il y a trois ans.
Aujourd’hui, nous sommes tous les deux penchés sur le berceau de notre petite fille aussi belle que sa Maman, Teadora,
Dans quelques mois, chez nous, Tea apprendra deux langues, le français pour parler avec moi et, pour communiquer avec Ana, celle que j’ai eu tant de mal à apprendre, la langue des signes.
Un jour gris (Camille)
C’est un jour gris sur le calendrier. Aujourd’hui je ne me réveillerai pas. La sonnerie matinale de la boîte à tic-tac ne me sortira pas de mon rêve. Tic-tac, tic-tac, tournent les aiguilles, je ne me lèverai pas. Les douze chevaux du voisin ne viendront pas me tirer du sommeil. Ils dorment dans leur écurie métallisée comme tous les bourrins du quartier.
Ce matin tout est endormi. Dans une bienveillance fraternelle, chacun veille sur le sommeil de l’autre. C’est un jeu où le premier qui bouge aura un gage. Un deux trois soleil, le voilà qui se lève dans son voile rose. Et voilà le merle qui s’autorise à rompre le silence. « Le monde est à ceux qui se lève tôt ! » Chante-t-il en déployant toute l’énergie de sa petite gorge noire. Je m’éveille au son de cette douce mélodie, aux premières lueurs du jour. Le gage sera pour lui. Le ténor au bec jaune devra chanter chaque matin jusqu’à la fin de l’été.
On entend une sirène au loin, la voisine commence à s’agiter. L’animation de la rue, la vie s’invitent dans ces premières heures paresseuses. Le vent apporte la douceur des jours anciens, l’appel des cloches dans le lointain. L’église n’est pas si loin. Et si l’on allait à la messe dans ce jour de paresse ?
C’est une jour gris sur le calendrier, c’est un jour férié. Sans réveil, je m’éveille à la beauté de cette journée.
Repos d’après repas (Monique)
La sieste est un art, celui de l’inaction.
Nul besoin d’être virtuose dans le maniement de l’archet ou du pinceau, d’édifier avec maestria palais, châteaux ou cathédrales, de modeler de gracieux visages d’argile, de rédiger poèmes et pamphlets…
Rien de tout cela pour une bonne sieste, juste un frugal repas et un emploi du temps élastique.
En hiver, dans le salon, calée dans le canapé à l’odeur de cuir patiné, défoncé par les ans, usé et décoloré par les caresses, le dos soutenu par d’épais coussins, les pieds posés l’un sur l’autre sur la table basse du salon, je plonge dans la rêverie. Le cocon est douillet, dehors un vent glacial souffle dans les branches dépouillées.
Aux beaux jours, c’est vautrée dans le transat, à l’ombre de la tonnelle, que je me plais à rêver. Tout est silence. Les oiseaux se sont tus, eux aussi doivent profiter de la quiétude du début d’après-midi.
Le banc du jardin public me parait moins propice à l’assoupissement. Au loin les coques vides des bateaux, navires désertés, balancent gentiment en attendant leurs jeunes équipages. Assise, le corps plié en deux, façon angle droit, la tête dodeline de bâbord à tribord et finit par basculer lourdement en avant, menton sur la poitrine. Alors le réveil est brutal. Seule une épaule fraternelle peut rendre la place aimable.
C’est pourquoi, je préfère, si le règlement l’autorise, m’allonger dans l’herbe fraiche, mains croisées sous la nuque, à tutoyer pâquerettes et boutons d’or.
L’endroit est encore calme, point d’animation. Dans une heure, une horde de marmots joyeux et braillards investira les lieux.
Ici ou ailleurs, l’esprit finit par s’abîmer dans d’agréables rêvasseries, les yeux par papillonner. Le livre, compagnon des premiers instants, se referme doucettement. La respiration se fait régulière, la pénombre bienfaitrice. J’oscille entre rêve et réalité comme un funambule sur son fil, entre audace et crainte, entre équilibre et chute.
Enfin, je m’évapore.
Le monde peut bien s’agiter hors des murs, derrière la grille du jardin, je flâne dans ma tête, mais c’est bien de flâneries que naissent les livres !
Nous remercions les auteurs et rappelons que les textes leur appartiennent. Toute reproduction est interdite.