Voici les 3 mots de novembre 2018 : croissant, vie, pôle nord
Voici les textes que nous avons reçus :
Le loto (François)
Sébastien fut pris de tremblements. Malgré l’évidence, il ne parvenait toujours pas, au bout de quelques minutes, à croire ce qui venait de le frapper comme une gifle. Il restait abasourdi, groggy. Ses yeux continuaient inlassablement de passer de l’écran de son ordinateur au petit bout de papier qu’il tenait dans sa main secouée par des spasmes de plus en plus violents.
Il relisait sans cesse chacun des numéros et la date du tirage.
Allez, une dernière fois, murmura-t-il et il finit par s’appuyer sur le dossier de sa chaise enfin convaincu qu’il venait de gagner le gros lot. Fébrilement, il passa sur un autre site pour connaître le montant de ses gains.
Douze millions. Il était le seul à avoir trouvé la bonne combinaison. Douze millions !!
Il posa sur le petit bureau le ticket que lui avait remis ce matin-même le propriétaire de la papeterie en bas de chez lui. Comme chaque fois, ils avaient plaisanté ensemble sur ses infortunes répétées et il avait quitté le magasin avec cette phrase qu’il se reprochait de dire trop souvent : « A demain, pour les gains !!!».
Il resta un bon moment assis, les bras croisés, regardant sans les voir les immeubles faisant face à son appartement.
Il oscillait entre rêve et réalité, entre bonheur et incrédulité, entre sourire et larmes.
Cet insignifiant bout de papier à côté de son ordinateur valait douze millions ! Une fois calmé, il le saisit et, comme il le faisait quand il gagnait des montants modestes, il le plia et le rangea dans son portefeuille.
Depuis longtemps, il réfléchissait à ce qu’il ferait si la chance lui souriait. Il savait qu’il donnerait à chacun de ses enfants de quoi s’acheter une belle maison. Il ferait aussi un beau chèque à ses frères et sœurs. Enfin, il choisirait une association humanitaire qu’il parrainerait de façon significative.
Sébastien voulait également réaliser ce dont il avait envie et à quoi il avait toujours dû renoncer.
Sa vie allait changer de façon radicale.
De toute évidence, il allait s’offrir son « château en Espagne ». Son rêve n’était pas un château, seulement une belle et discrète maison sur la côte nord de la péninsule ibérique.
Mais avant cela, il voulait réaliser un beau et long voyage.
Indécis sur la destination, il alla chercher le globe terrestre qui reposait depuis des lustres dans la chambre de sa fille. Elle l’avait laissé là quand elle était partie s’établir à quelques centaines de kilomètres pour fonder un foyer.
Il saisit la mappemonde et la posa sur la table du salon. Il la fit pivoter plusieurs fois. Il l’arrêtait lorsque se présentaient des lieux qui le faisaient rêver depuis des décennies. Il s’attarda sur l’Amérique du Sud. Sa main caressa le continent américain du Pérou au Canada puis remonta jusqu’au pôle nord où, quand il était gamin, l’avaient emmené les récits de Paul-Emile Victor.
Encore hésitant sur la destination de son futur périple, il se proposa de faire tourner le globe et, les yeux fermés, de l’arrêter au hasard par une pression du doigt. Mais il reconnut qu’il prenait ainsi le risque de s’imposer un voyage en Sibérie, peut-être au milieu du Pacifique ou encore dans le désert du centre de l’Australie. Il renonça alors à ce système trop aléatoire qui pouvait l’envoyer sur des terres inhospitalières.
Toute la nuit, seul dans son lit, il parcourut les continents, échafauda des centaines de projets insensés, établit la liste des amis à qui il ferait des cadeaux. Il se répétait régulièrement : « je peux tout me permettre, je suis millionnaire » et il recommençait à faire le monde, celui des êtres chers et le sien.
Le lendemain matin, les yeux rougis par l’insomnie, il se chaussa, descendit chercher sa baguette de pain quotidienne et s’offrit le luxe d’acheter un croissant.
Naissance à la ferme (Monica Sel)
Soudain, la sonnerie du téléphone retentit dans la maison silencieuse.
– Bonsoir. Excusez-moi de vous déranger, mais Marguerite va vêler cette nuit. Pourriez-vous passer à la ferme ?
– Ok, j’arrive.
Pierre abandonne son bol de soupe, attrape sa parka pendue à la patère de l’entrée, s’empare de sa lourde sacoche, l’indispensable matériel médical.
Dès la porte franchie, un vent glacial le saisit. Pierre fouille ses poches, récupère son bonnet tricoté mains dont il coiffe immédiatement son crâne dégarni. Il se rappelle le bulletin météo de la veille « un froid venu du Pôle Nord va engourdir la région ». Un croissant de lune éclaire chichement la campagne. Ce déplacement n’est pas fait pour enchanter notre homme. Une soirée devant la cheminée avec un bon bouquin, voilà à quoi il aspirait en cette fin de semaine. Mais bon ! Les aléas d’un métier exaltant.
Après vingt minutes de route sur une départementale sinueuse et accidentée, il arrive à la ferme. Un chien sorti de nulle part, l’accueille et l’escorte. Antonin, le maitre des lieux, debout au milieu de la cour malgré le froid, l’attend, anxieux. Une chaleureuse poignée de main, un bref échange de politesse et les deux hommes se dirigent vers l’étable d’un pas rapide. Marguerite, une superbe Montbéliarde, taches rouges sur robe blanche, couchée sur le flanc, attend, elle aussi. Les pattes avant du veau apparaissent déjà. Le vétérinaire analyse rapidement la situation. Marguerite, encore génisse, bientôt vache, semble se débrouiller fort bien. Elle est encouragée par ses congénères qui tout à côté, lui adressent des « meuh » réconfortants.
Au bout d’un moment, Pierre décide d’aider à la délivrance. Il encorde les petites pattes et synchrone avec une contraction, tire d’un geste énergique mais délicat. La tête est sortie, ensuite tout va très vite. Après quelques chatouillements dans le nez, le nouveau-né est rendu à sa mère.
Sarah, l’épouse d’Antonin, informée de la naissance par la gaieté ambiante, apparait, portant un lourd plateau à bout de bras. Un intermède bienvenu, pensent les deux hommes : un thermos de café chaud, un bocal de fruits à l’eau de vie et quelques tartines de pain perdu encore fumantes.
De son côté, le veau, toiletté à grands coups de langue maternelle, baptisé Myrtille, ose déjà quelques pas. Après plusieurs chutes dans la paille tiède et confortable il rejoint en chancelant sa mère, se pend à son pis et tète goulument.
Encore quelques soins à prodiguer, et Pierre prend congé du couple, gratifié d’un odorant fromage fermier. A l’est, derrière le bosquet dit « de Mortefeuille », une lueur orangée, prémices d’une matinée ensoleillée, embrase le ciel. Le médecin, satisfait, heureux, optimiste, pressent une bien agréable journée.
Le pôle nord ( Martine)
Enfin ! Le Pôle Nord ! Mark accoste son brise-glace sur cet océan qui est le plus petit du monde. Emmitouflé dans sa parka et armé de son appareil photographique, il s’émerveille devant les voiles de lumière jaune et vert qui illuminent la bannière étoilée. Avec un peu de nostalgie, il repense au croissant de lune au-dessus de la Rance qu’il aime tant admirer de sa terrasse. Ses fidèles amis lui ont fait un superbe cadeau en sponsorisant son projet pour ses cinquante ans !
Aujourd’hui, il réalise enfin son rêve d’enfant qu’il prépare depuis cinq ans : découvrir cette région du globe si glaciale, si rude, mais tellement captivante !
Brusquement, un bruit sourd, inquiétant, le tire de ses rêveries. La carapace d’eau gelée prend vie. Un gigantesque ours polaire apparaît. Instinctivement, Mark s’élance sur sa droite pour se dissimuler derrière…derrière quoi au fait ? Pas de buisson ici ! Seul son bateau brise-glace l’attend un peu loin.
Doucement, il saisit son appareil photographique pour immortaliser cet instant magique sur la pellicule. Mais l’ours s’arrête et tourne la tête vers lui. Mark lâche son appareil et esquisse un pas en arrière, puis un autre, ne quittant pas des yeux l’ursidé dont la fourrure se fond dans le paysage. Pourvu qu’il ne s’avance pas vers lui ! Mais non ! L’ours l’ignore et s’éloigne d’un pas chaloupé vers un large trou creusé dans la banquise. Quelques secondes plus tard, Mark le voit harponner, de ses puissantes pattes, un pauvre phoque égaré qui lui sert d’en-cas pour son repas.
Inquiet, Mark songe : « Pourvu qu’il en pêche d’autres, Je n’ai pas envie de lui servir de plat de résistance ».
Alors qu’il rebrousse chemin en ne quittant pas l’ours du regard, celui-ci l’ignore et continue son festin en attrapant un deuxième, puis un troisième phoque.
Remonté sur son bateau, Mark pousse un soupir de soulagement. C’est alors qu’il entend à la radio :
« Bon anniversaire Mark.
Profite bien de ton séjour et n’oublie pas de faire des photos.
À bientôt..
Tes amis Malouins. »
On peut rêver (Susan Clot)
Les enfants sont partis à l’école et Lætitia peut enfin s’asseoir et siroter son café tranquillement dans la cuisine. Pas de croissant ni de cigarette comme quand elle était étudiante et que tout était possible, quand la vie l’attendait à bras ouverts, et quand le paradis semblait au bout de la rue. Le temps est loin où elle s’imaginait devenir écrivain célèbre, exploratrice du pôle nord ou star de cinéma.
Non, tout cela est bien du passé. Aujourd’hui elle finit les bouts de tartine Nutella laissés par Lise et éparpillés sur la table comme des bateaux en perdition sur une mer de miettes. Elle finit le bol de Lucas, même si des gouttes de jus d’orange nagent parmi les cornflakes solidifiés par le lait et collés tels du ciment prêt à l’emploi.
Un moment de repos avant de s’attaquer à un brin de ménage vite fait, prélude à son départ précipité au travail. Ce n’est pas vraiment la vie dont elle avait rêvé. La nostalgie, une pointe d’amertume, commencent à la guetter. Mais elle revoit Lise en train de lui expliquer qu’elle était cousine des cochons car omnivore comme eux et que c’était pour ça qu’elle n’avait pas besoin de bien se tenir à table. Leçon bien retenue pour une petite qui sait à peine écrire son nom ! Un léger sourire se forme aux coins de sa bouche qui se transforme en petit rire intérieur en imaginant Lucas, maçon plâtrant ses céréales sur des parpaings…ou mieux, ingénieur en TP à Caracas ou à Sydney. Finalement les rêves sont toujours possibles !
Il fait si froid dehors (Caroline)
Brrrr ! … Il fait un froid de loup ! On se croirait au Pôle Nord ! … glacial ! … J’apprécie le croissant bien chaud que je viens d’acheter et qui me brûle un peu les doigts cachés dans le confort de mes moufles.
Une journée longue et pas facile au boulot est récompensée par ce petit moment de plaisir égoïste et gourmand.
Je hâte le pas afin de retrouver mon appartement douillet et l’homme qui m’y attend.
Que la vie est belle, la soirée va être délicieuse !…
Ne surtout pas regarder au pied de l’immeuble cette silhouette allongée emmaillotée de couvertures, qui ressemble à quoi ?
A rien !… A un tas de chiffons sales.
Une pauvre vie abandonnée là, sans rien qui ressemble à un espoir sinon qu’il ne gèle pas plus fort cette nuit !
Que puis-je faire ?
Juste lui donner, avec un sourire, le croissant encore chaud qui, peut-être, lui fera du bien … Mais si peu de bien au milieu de toute cette solitude glacée …
Une minuscule gouttelette d’humanité, un tout petit point de lumière … La soirée sera douce et tendre mais … Il fait si froid dehors…
Surprise sur la banquise (P.)
Sur la banquise, un croissant nordique s’est posé.
Mais que faisait ce papillon à Alert, sur l’île d’Ellermere, à 835 kilomètres du pôle Nord ?
Avait-il perdu le sud ?
Avait-il fui, cet été, les fournaises des forêts en feu du Nord canadien ? Il n’avait peut-être pas eu envie de finir comme un bon croissant tout chaud du dimanche matin.
Mais tout de même ! Avait-on déjà vu un papillon sur une banquise ?
Etienne Louis se gratta les rares cheveux qui lui restaient, après ces 35 années de funambulisme entre le pôle nord et le pôle sud.
Le pauvre se sentit déboussolé : déjà que des géants des mers s’étaient lassés des mers chaudes et faisaient la nique aux banquises, du haut de leurs 66 mètres de hauteur, comme le fameux Symphony of the Seas ! Il y aurait bientôt, plus de croisiéristes, spécialistes en selfies, engoncés dans leurs combinaisons criardes que de pingouins sur cette banquise.
Mais alors quelle serait la terre d’accueil des pingouins ? Il n’était pas possible de repousser le pôle nord plus haut encore, là où la vie n’avait plus aucune couleur. Ils n’allaient tout de même pas non plus, finir sur les plages de sable fin des Caraïbes ?
Il farfouilla dans son barda de chercheur. Pas de trace d’un filet à papillons, vous imaginez bien.
Il se contenta de prendre son appareil photo ; mais avant, il fixa de son œil nu, la fragile beauté de cet insecte qui s’offrait là, à lui tout seul. Il immortalisa ce petit bout de vie. Quelques satellites plus tard, la photo atterrit dans l’ordinateur de son ami Thomas Croissant, un des plus grands lépidoptéristes au monde. Peut-être que lui saurait trouver un sens à cette fugue polaire, à coup d’ailes dorées.
En attendant d’élucider ce nouveau mystère, il reprit son poste d’observation. L’ours blanc semblait l’attendre et guetter son regard. C’était tout de même lui, la star de la banquise. Enfin… jusqu’à preuve du contraire !